• Les Grecs l'appellent encore simplement polis, la Ville, comme s'il ne pouvait en avoir qu'une. Les années ont pourtant passé depuis qu'elle était capitale d'un empire grec, et on n'imagine plus qualifier Istanbul de ville-monde, le cliché semble éculé.

    Et pourtant, la ville est toujours là de part et d'autre de la Corne d'Or, entre les deux rives du Bosphore, active et contrastée, une myriade de petits ateliers et des bars branchés, à la ligne irisée de vitres fumées d'une crête répond la ligne brisée de minarets de l'autre. Au détour de ses rues on aperçoit des caractères cyrilliques, grecs, arabes, arméniens, latins. Les drapeaux affichés devant les télécabines des quartiers populaires disent que la ville a gardée ou conquise une influence régionale qu'on lui croyait perdue : les drapeaux sont bulgares, géorgiens ou arméniens, ils sont iraqiens ou syriens, ils sont même sénégalais ou guinéens... Et cette fille que je croise dans une rue de Kumkapi pourrait bien être abyssine.

    Ses collines déroutent, son dédale de rues et l'étrange fatras de son urbanisme perd. Parfois seul l'horizon entre aperçu dans telle trouée du paysage urbain permet un instant de se ressaisir et se resituer : ces antennes-là ne peuvent être que celles d'Usküdar... La ville est dense, dense de ses bâtiments comme entassés dans pentes, dense de son histoire, murs de brique et de pierre byzantins, konaks turcs en bois, immeubles presque hausmaniens tout cela s'empile : une strate archéologique que l'on aurait immédiatement sous les yeux.

    Le paradoxe est que ses habitants se laissant aller au hüsün, une mélancolie que Orhan Pamuk décrit comme d'autres décriraient la saudade, pensant encore aux splendeurs passées de son histoire n'aperçoivent peut-être plus les splendeurs naissantes de son présent. La ville-monde est encore là, elle vit, elle respire, elle attire maintenant en son sein des gens venus d'aussi loin que jadis.



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    Chinguetti est une ville coupé en deux par le lit asséché d'un oued. Là où nous logeons, la ville nouvelle, quadrillage de murs nus et lisses, rues ensablées, sur l'axe principale : la génératrice. La plupart des hôtels, vides en cette saison trop chaude se trouvent de ce coté, et un jeune sénégalais désoeuvré, loin de son pays, attend la venue de la fraîcheur pour vendre ses statuettes - fabriqués sans doute en série dans quelque atelier semi-industriel d'une banlieue de Thiès.


    De l'autre côté de l'oued, la vielle ville, un labyrinthe de pierre sèche, de rues étroites et toujours le sable. Parfois l'effondrement d'un mur ancien permet de voir l'intérieur d'une cour abandonnée, parfois, c'est la hauteur de sable devant cette belle porte en bois avec sa mystérieuse serrure qui indique l'abandon. Vieille ville tournée sur elle même, faisant le dos rond au désert qui rode et s'infiltre. Les premières dunes servent de décharge parmi laquelle jouent des enfants et des chèvres. Et voilà quelques gamins et gamines qui nous demandent des cadeaux, le plus jeune, deux ou trois ans pas plus danse sans cesse et sans se soucier de notre présence : c'est déjà un soufi !


    Je suis venu ici pour les bibliothèques. Je n'en visiterais finalement qu'une, celle de la fondation Al Ahmed Mahmoud, son gardien, Saïf, me débite sa présentation bien rodée, pour une seule personne c'est trop, et ce n'est pas cela que je cherche. Le ton change et l'intérêt naît quand je lui déballe mon livre. Il y reconnaît une écriture maghrébine, me confirme la date du colofon sans y trouver le nom du lieu où il aurait été copié. Il admire la reliure nouvelle de l'ouvrage et se plaint de ne pouvoir faire relier de la même manière les livres sous sa garde. L'échange est maintenant plus chaleureux et le jeu théâtral initial a disparu. A mon départ il me donne le nom d'une personne qui pourra peut-être m'aider à Nouakchott...


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