• Norodom Sihanouk est mort il y a dix jours.

    Au rez-de-chaussée de notre bureau son portrait est entouré de crêpe noir et blanc et en début de semaine tous mes collègues cambodgiens portaient un ruban noir ou noir et blanc sur leurs chemises et les avenues de la capitale étaient bordées de drapeaux à mi-hampe et de soldats.

    Le soir en zappant au travers des innombrables chaines télévision que ma chambre d’hôtel me fournit chaque chaine cambodgienne montrait des images du feu-roi. Un montage montrait le roi vieux, accueillant des dignitaires étrangers, sans doute à différents moments et en différentes occasions. Il y avait quelque chose d’hypnotique dans la ronde de VIP arrivant en voiture de luxe, au pas sur des tapis rouges, aux salutations protocolaires devant un roi toujours souriant. 

    Une autre chaine se concentrait sur des images d’archive et on y voyait un Sihanouk jeune, avec le même sourire et la même corpulence, actif, en plein air. Ici il conduisait un tracteur, là construisant une maison, récoltant du riz, ou encore dirigeant en noir et blanc des opérations militaires contre les vietminh (il y a donc eu des incursions vietnamiennes au Cambodge dès 1954 ?).

    Une autre chaine montrait d’autres images d’archives, accompagnées de musique classique européenne et de sous titres en français. C’est visiblement un catalogue des réussites du royaume nouvellement indépendant. On y voyait des hôpitaux flambant neufs où s’affairaient des chirurgiens, des usines textiles avec leur main d’œuvre féminine (déjà), des bâtiments de la nouvelle architecture khmère tout juste inaugurés. Ces images respirent l’optimisme et une confiance dans le futur.

    Entre les images du roi jeune et celles du roi vieux… rien.

    Entre les années soixante et les années 90… rien.

    Les hommages télévisés rendus racontent aussi, en creux, la tragédie du pays : il y a un trou de vingt ans dans les images, il correspond au temps écoulé entre coup d’état de Lon Nol en 1970 au départ des troupes vietnamiennes à la fin des années 80.

    La vie de ce roi se confond avec la vie du Cambodge indépendant, avec ses espoirs brisés, puis renaissants. C’est un roi ambigu et les vingt années disparues de la télévision cambodgienne sont ceux de positionnements dangereux. S’il a lutté contre les communistes vietnamiens dans les années 50, il les invite dans le pays dans les années 60, propulsant le pays dans la guerre indochinoise. De son refuge chinois, après son reversement par Lon Nol, il pense pouvoir instrumentaliser les Khmers Rouges qu’il avait avant pourchassé. C’est lui qui aura été instrumentalisé : il se retrouve « Président » d’un Cambodge monstrueux, une année enfermée dans une cage dorée. A la chute du régime Khmer Rouge, le pays étant sous contrôle vietnamien le voilà qui soutient la guérilla nationaliste à laquelle ces mêmes Khmer Rouges participent (un mouvement nationaliste financé par la Thailande et les Etats Unis, soit dit en passant)…

    Un dernier paradoxe, l’État qui lui rend hommage aujourd’hui est un État fermement sous le contrôle du parti mis en place par les vietnamiens lors de leur intervention au Cambodge.


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