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    L’art ecclésiastique de Cuzco est connu, recherché parfois. Art d’église naïf né du travail d’artistes locaux, indigènes et métis, il représente des vierges surchargées enveloppées de mousseline, des christs sanglants à l’agonie, des archanges en armure de théâtre brandissant lances, épées et arquebuses.

    On dit de cet art qu’il est syncrétique que les représentations contiennent, cachent des symboles du monde andin. J’ai cherché dans les nombreux tableaux de la pinacothèque du monastère de Santo Domingo cette présence andine. Sans doute ma méconnaissance de ces symboles est pour quelque chose dans mon échec. Les personnages de tableau après tableau sont blancs, des scènes classiques de l’imagerie chrétienne se suivent.

    J’ai cru trouver une présence tenue du monde andin dans ce tableau de moines malades protégés par un saint – les motifs de leurs couvertures me font penser qu’elles sont de là. Un tableau a tout de même un thème très local : la rencontre fatale de Cajamarca entre Athahualpa et Pizarro.

    Je désespérais de trouver une autre image indienne dans les couloirs du Coricancha quand je suis tombé sur une représentation de la passion du Christ. L’épisode montré est celui où Simon reprend la charge de la croix. Des soldats romains harcellent un Christ couvert de sang pendant qu’une troupe de badauds observe la scène. En bas à gauche, dans un coin du tableau, est représentée celle qui sans doute commanda l’œuvre. C’est une vielle femme ridée priant, autour de ces mains jointes pend un rosaire. Elle est indienne, sa peau bronzée, la coupe de sa tunique noire, le plastron de couleur tel qu’on les voit dans certains dessins de Guaman Poma. Sa présence est émouvante, elle témoigne d’un monde disparu – quelles transformations a vu cette femme au cours de sa vie ? Pour elle l’impensable est devenu.


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  • Cette image est classique : elle montre le monastère de Santo Domingo à Cuzco, couvent construit sur le temple le plus important du Tahuantinsuyu – l’état Inca. Comme ailleurs dans ce monde dit nouveau, les espagnols ont construit leurs lieux de culte sur d’autres plus anciens. La continuité géographique de la prière rendant moins brutale l’imposition d’une nouvelle religion.

    L’image montre un empilement de cultures sur le même site, empilement rendu visible par la maçonnerie. Sur les blocs si finement posés des fondations incas, la maçonnerie coloniale.

    A Ciudad de Mexico il y a une place des Trois Cultures, Tlatelolco, rendue célèbre pour la massacre qui y eut lieu en 1968. Le nom de la place fait référence à la présence de « trois cultures » dans le pourtour de la place, et de là dans la construction nationale mexicaine : la culture aztèque précolombienne, la culture espagnole et la culture de la République.

    Sans doute qu’un empilement similaire de cultures se voit au Coricancha et aux alentours : l’inca, l’espagnole et la péruvienne. Ce qui m’a frappé pourtant à la première vue du bâtiment c’est autre chose. Si la fondation est inca et la maçonnerie au-dessus espagnol, d’où est la menuiserie ? Les arcs ? J’ai pensé en le voyant à un moucharabieh – comme si une quatrième culture était là, venue clandestine dans les bagages des espagnols, celle de l’Espagne musulmane. En rentrant dans le bâtiment l’intuition m’était confirmée par la grande porte marquetée couverte de ces motifs géométriques typiques de l’art islamique – une porte mudéjar. Par quel biais, filiations, cheminements, le travail du bois d’Al-Andalus est-il arrivé à Cuzco ?


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