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    Écrire ce billet depuis un crépuscule tananarivien est étrange, il évoque les Cévennes, la Guyane et les traces que l’homme a laissées dans ce paysage, les traces végétales.

    En avril dernier j’ai passé quelques jours chez mon père dans sa massive maison de pierres lovée au fond d’une vallée de terrasses abandonnées et de châtaigniers. Une vallée en friche, peuplée de sangliers. Le premier soir mon père a servi une assiette de fruits ressemblant à des olives que je ne connaissais pas.  Il les avait fait macérer dans du vinaigre. C’était des cornouilles, fruits du cornouiller mâle.

    Il avait trouvé ces fruits sur un arbre dans la jachère qu’est devenue la vallée. Un arbre qui avait été planté là pour des cornouilles alors appréciés et maintenant oubliés. Il avait été planté là pour son bois aussi – on en fait des manches d’outils. Il avait été planté là a l’époque où la vallée était vivante, peuplée, il y a déjà longtemps. Avec son fruit ignoré, l’arbre est presque invisible pour qui ne le connaît pas. Il semble être arrivé là par hasard – on le prend facilement pour un arbre sauvage. Mais ce paysage – peut être comme tous les paysages aujourd’hui est un fruit humain.

    En février j’étais en Guyane. C’est un pays vide que la France a pendant longtemps essayé de remplir. L’enfer vert dit-on de l’Amazonie si peu habitée, la jugeant d’une grande hostilité. Certains disent maintenant que ce désert là, était autrefois, avant la rencontre catastrophique des mondes, bien plus peuplé. Les fruitiers de la forêt immense ne sont peut être pas là par hasard, mais comme les cornouillers des Cévennes le résultat d’une activité humaine aujourd’hui oubliée, effacée en France par l’exode rural, et en Amérique par l’hécatombe de la variole. Et un paysage autrefois vibrant est vidé par l’histoire.


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  • C'est le début du printemps, ni fleurs ni feuilles encore sur les châtaigniers, les merisiers, les mûriers... Ce sont les pins envahissants ou les chênes verts qui colorent un peu ce paysage austère de collines. Les bourgeons sont déjà ça et là et bientôt le merisier en face de la maison se couvrira de blanc. Un petit prunier se teint maintenant de rose ou de violet.

    Partis explorer les alentours, dans tel thalweg encombré de ronces on butte soudain sur un mur de schiste brut, le coupant comme un barrage qui se serait rempli de sédiments et dans le mur, une merveille architecturale, un escalier en schiste encastré permettant de passer au niveau supérieur. On se sent comme un explorateur à la petite semaine découvrant quelque cité perdue.

    C'est que dépouillé de ses feuilles le paysage qui l'été semblait si sauvage dévoile maintenant sa profonde humanité. La pente est marquée par l'homme, elle est striée de murs, murs pour retenir terre et châtaignes, murs pour l'apprivoiser cette pente, permettre d'y planter quelque céréale ou un potager. Chaque mètre de chacun d'entre eux construit à la main, chaque pierre transportée d'un endroit où un autre, chacun d'entre eux s'écroulant de temps à autre, rassemblant autour de lui le voisinage pour le remettre d'aplomb.

    Dépouillé de ses feuilles le paysage fait apparaître ici et là les hautes maisons de schiste - on se ne rendait pas compte, l'été, a quel point cet endroit a été habité. Ici des générations ont traversé la vie, châtaigniers laissant place aux mûriers laissant de nouveau place aux châtaigniers quand le bombyx a disparu, les troupeaux de la transhumance passant chaque année sur la crête, là au-dessus de la maison.

    Présence humaine profonde, édifiant murs et bâtiments, semant à flanc de mont les arbres qui semblent maintenant toujours avoir été là, cette présence a disparu. La ronce, la bruyère, la fougère, on envahi les pâturages abandonnés ; les sangliers rodent où avant il y avait un verger et les murs s'effritent et tombent sans que plus personne ne les relèvent.

    Là, à la fin du printemps ces siècles de travail se laissent brièvement voir à travers les arbres encore sans feuille. Bientôt ils disparaitront de notre vue comme un pays évanescent.

     


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