• Dans un lieu banal, un jour comme un autre (Cambodge)

    Quand je suis à Phnom Penh je travaille dans la rue 330 à une encablure de Tuol Sleng (le lycée Tuol Svay Prey), lieu d’enfermement et d’interrogation connu sous le nom de S21. La photo qui illustre cet article a d’ailleurs été prise du toit du bureau. C’est un bâtiment que je vois souvent, devant lequel je passe quand je suis ici, un bâtiment banal, sans doute issu ou inspiré par une certaine architecture utilitariste des années 50. Il ressemble à un collège ou à un lycée d’une province française – ce qu’il est d’une certaine manière.

    Lors que je l’avais visité en 1998 ce sont les détails de ce lieu de mort qui m’avaient frappé : comment telle salle de classe avait été transformée – à la va vite – en une multitude de cellules, des murs d’une seule rangée de briques découpant l’espace sans pourtant arriver jusqu’au plafond ; comment du fer à béton avait été façonné par un forgeron pour devenir une entrave ; comment un lit était devenu un instrument de torture ; comment une série d’objets, un lieu banal devenaient des armes, une prison par destination.

    Et puis un peu plus tard en ce mois de juillet, nous avions visité l’un des champs d’exécution. Il faisait chaud, humide : un temps tropical. La végétation était verdoyante, foisonnante comme elle l’est si facilement sous ces latitudes. Il y avait quelque chose de surréaliste dans l’hiatus entre cette nature si vivante et ce qui s’y était passé. Je me suis rendu compte alors qu’à la banalité des lieux il fallait ajouter la banalité des jours – la quotidienneté routinière du mal. L’atrocité pouvait avoir lieu dans des lieux fertiles et beaux et dans des jours ensoleillés, chauds, l’air vibrant d’insectes.

    Peut-être est-ce à cause des films vus, des photos des livres d’histoire, de toute cette imagerie répétée – j’imaginais que le mal n’avait lieu que dans des lieux sombres, froids, qu’il était en quelque sorte monochrome. Je l’associais à la grisaille, à la pluie, à un ciel bas et menaçant. Qu’il surgisse en plein jour, au milieu un paysage de rizières et de palmiers à sucre et me voilà désarçonné… Comme si en imaginant les événements se dérouler dans la même chaleur moite que je vis, je mesurais, finalement, leur réalité.


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