• Le Fleuve


    Je peux raconter cette histoire maintenant, deux mois après les évènements, maintenant que le pire est derrière nous et que les collègues convalescents vont mieux. J'avais écrit ce qui suit comme un bouclier - la « littérature » comme forteresse...

    Cela part d'un fragment d'Héraclite, l'histoire du fleuve dans le quel on ne se baigne pas deux fois - l'eau du fleuve n'est jamais la même et nous avons changé. Je comprenais le fragment facilement, je le neutralisais avec mon intellect - mais peut être qu'au final je n'étais pas vraiment convaincu de sa véracité.

    Et puis un matin sur la route de Miandrivazo nous croisons un troupeau de zébus et ses bouviers, un troupeau semblable a ceux qu'on a croisés sur cette route plusieurs fois. Les zébus ont l'air en bonne santé, nous remarquons un grand taureau tacheté, la bosse impressionnante et les cornes majestueuses. Les commentaires au sujet de ces belles bêtes fusent.

    Au retour, bien plus tard, nous recroisons le même troupeau, je le reconnais en voyant le même beau taureau. Le monde a cependant changé et c'est un taxi brousse réquisitionné qui nous transporte et non plus notre 4x4 que nous avons laissé fracassé dans un fossé - et dans le véhicule un collègue saigne et l'autre respire avec difficulté. La fraction de seconde a qui nous devons ça est élusive, ouatée, j'enveloppe l'évènement et sa suite de mots - dont ceux-ci. Malgré ces mots je me sens vidé, défait, assombri - moi qui n'ai rien.

    Ce sont les mêmes zébus, le même beau taureau et pourtant une fraction de seconde s'est glissée entre le matin et le soir et je ne peux plus voir ces bêtes du même œil...

     


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