• La dernière étape de ce voyage par livre interposé se déroule au lieu dit de Tendegsemie dans le Trarza. C'est là que la famille d'un ami mauritanien s'est établie et c'est là qu'il vient passer ses longs week-ends, loin de la ville bordélique et poussiéreuse qu'est Nouakchott. Cela faisait huit ans que je ne l'avais pas vu et nous voilà invités à passer une nuit avec sa famille dans la badiya (la « campagne »).

    Le Trarza est strié de dunes presque fossiles qui dans ce coin forment des séries de vallées et de crêtes parallèles. Nous sommes en saison des pluies et les creux sont relativement verdoyants, parsemés d'acacias et d'autres plantes résistant au climat aride de ces parages.

    A Tendegsemie quelques bâtiments épars dans la vallée, un puits ou deux, une école, une mosquée. Sur la crête s'est établie la famille de mon ami, une famille de la noblesse lettrée du Trarza. Il y a là un bâtiment en dur d'un seul étage qui n'a pas plus de trois pièces et quelques khaima, ces tentes en poil de chèvre ou de chameau typiques des maures. Un grand tapis en fibre de plastique a été sorti devant la maison et de boisons nous attendent.

    Une fois installé je parle à Mohammed de mon livre, je lui montre. Après l'avoir feuilleté, intéressé, il me dit que son père a été directeur des Archives du pays avant de prendre sa retraite et que si je le souhaite nous pouvons le rencontrer.

    Il est là sous une des khaima, entouré de quelques uns de ses élèves, car c'est un homme réputé pour ses connaissances religieuses, ces enfants viennent de loin pour apprendre ici le Coran. Il est assis en tailleur sur des tapis, enturbanné, barbe grise, lunettes a grosse monture, il se dégage de lui un sentiment d'austérité bienveillante : comme si j'entrais dans un cliché de cet Orient du Sud qui faisait rêver les romantiques français...

    Il feuillette le livre, en lit des passages, me précise la diversité du contenu des chapitres, qui vont de la manière convenable de mener un divorce jusqu'à comment mener une course de chevaux licite. Il me montre le système de pagination du livre : en pied de chaque page le premier mot de la page suivante est inscrit. Il me confirme que l'écriture est maghrébine, même saharienne. A regarder le colophon de près il y trouve le nom du copiste : Mohammed Ibn Abibakar...

    Puis il s'excuse en me disant qu'il pourrait sans doute m'en dire plus si je restait plus longtemps dans le pays, or je le quitte le lendemain !



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    Chinguetti est une ville coupé en deux par le lit asséché d'un oued. Là où nous logeons, la ville nouvelle, quadrillage de murs nus et lisses, rues ensablées, sur l'axe principale : la génératrice. La plupart des hôtels, vides en cette saison trop chaude se trouvent de ce coté, et un jeune sénégalais désoeuvré, loin de son pays, attend la venue de la fraîcheur pour vendre ses statuettes - fabriqués sans doute en série dans quelque atelier semi-industriel d'une banlieue de Thiès.


    De l'autre côté de l'oued, la vielle ville, un labyrinthe de pierre sèche, de rues étroites et toujours le sable. Parfois l'effondrement d'un mur ancien permet de voir l'intérieur d'une cour abandonnée, parfois, c'est la hauteur de sable devant cette belle porte en bois avec sa mystérieuse serrure qui indique l'abandon. Vieille ville tournée sur elle même, faisant le dos rond au désert qui rode et s'infiltre. Les premières dunes servent de décharge parmi laquelle jouent des enfants et des chèvres. Et voilà quelques gamins et gamines qui nous demandent des cadeaux, le plus jeune, deux ou trois ans pas plus danse sans cesse et sans se soucier de notre présence : c'est déjà un soufi !


    Je suis venu ici pour les bibliothèques. Je n'en visiterais finalement qu'une, celle de la fondation Al Ahmed Mahmoud, son gardien, Saïf, me débite sa présentation bien rodée, pour une seule personne c'est trop, et ce n'est pas cela que je cherche. Le ton change et l'intérêt naît quand je lui déballe mon livre. Il y reconnaît une écriture maghrébine, me confirme la date du colofon sans y trouver le nom du lieu où il aurait été copié. Il admire la reliure nouvelle de l'ouvrage et se plaint de ne pouvoir faire relier de la même manière les livres sous sa garde. L'échange est maintenant plus chaleureux et le jeu théâtral initial a disparu. A mon départ il me donne le nom d'une personne qui pourra peut-être m'aider à Nouakchott...


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  • J'en étais là : un auteur (An-Nawawi), une thème (le droit), une date de copie (1862). Je ne savais cependant ni où, ni par qui avait été copié ce texte.


    J'aurais pu le montrer à l'épicier qui vit un peu plus haut dans ma rue. Un autre érudit de quartier, il y a quelque temps encore quelques unes des étagères de son boui-boui croulaient sous les livres, des livres en arabe, des livres en français. Il me semble y avoir aperçu un Cioran et peut-être un ou deux ouvrages de sciences politiques... Il a depuis fait le ménage et ses livres sont sans doute retournés chez lui. Quoi qu'il en soit, je ne l'ai pas fait, et c'est une piste qu'il me reste à explorer.


    Nous programmions des vacances en Mauritanie et presque à la dernière minute, pensant aux bibliothèques de Chinguetti et de Ouadane je me suis dis que dans ce pays-là, sans doute, je trouverais d'autres pistes et j'ai ajouté le livre à mes bagages.


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  • Arrivée à la fin de ce que je peux déchiffrer seul, me voilà avec mon livre sous le bras à chercher de l'aide.

    Dans ma rue il y avait alors un marchand de journaux érudit d'origine algérienne. C'est ma première étape : mais après avoir feuilleté le livre, cherché à en trouver l'origine, montré à sa femme, il me le rend me disant qu'il ne peut pas m'aider plus. Pourtant combien de conversations se tisseront après autour de ce livre ! Mais il a fermé, et ces conversations se sont tues...

    Après cela j'ai montré le livre à un collègue d'origine marocaine : il est intéressé, mais lui-même ne peut pas m'aider beaucoup. Cependant son frère est professeur d'arabe dans un lycée. Le livre quitte quelques jours mes mains.

    Le livre revient accompagnée d'une feuille de papier sur laquelle certains textes sont recopiés, en arabe, plus clairement : c'est le professeur qui a parlé, il simplifie le travail pour l'élève mais l'élève doit encore travailler !

    L'élève est désemparé... Heureusement, le professeur a quand même identifié le texte. Il s'agit bien d'un texte de droit, écrit par An-Nawawi, juriste syrien du XIIIe siècle. C'est un auteur de l'école chaféite de droit musulman, alors que l'Afrique du Nord est plutôt proche du de l'école malékite...

    Qui a copié le texte ? Où ? A qui a-t-il appartenu ? Ces questions restent sans réponse...



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  • Et voici la première page de ce livre. Plutôt la première page du texte lui-même, car le livre commence par quelques pages qui devaient un jour être blanches et qui sont aujourd'hui recouvertes d'écritures en différentes encres et de différentes mains (il y a du crayon à papier par exemple).

    Armé de mes quelques notions d'arabe j'ai essayé de répertorier les chapitres du livre, ses kitaab, comme celui qui ouvre le texte : le « livre de l'héritage ». Ce que j'en comprends c'est qu'il s'agit probablement d'un livre de droit, et je suis arrivé là aux limites de ce que peux comprendre seul...



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