• Le pays évanescent


    C'est le début du printemps, ni fleurs ni feuilles encore sur les châtaigniers, les merisiers, les mûriers... Ce sont les pins envahissants ou les chênes verts qui colorent un peu ce paysage austère de collines. Les bourgeons sont déjà ça et là et bientôt le merisier en face de la maison se couvrira de blanc. Un petit prunier se teint maintenant de rose ou de violet.

    Partis explorer les alentours, dans tel thalweg encombré de ronces on butte soudain sur un mur de schiste brut, le coupant comme un barrage qui se serait rempli de sédiments et dans le mur, une merveille architecturale, un escalier en schiste encastré permettant de passer au niveau supérieur. On se sent comme un explorateur à la petite semaine découvrant quelque cité perdue.

    C'est que dépouillé de ses feuilles le paysage qui l'été semblait si sauvage dévoile maintenant sa profonde humanité. La pente est marquée par l'homme, elle est striée de murs, murs pour retenir terre et châtaignes, murs pour l'apprivoiser cette pente, permettre d'y planter quelque céréale ou un potager. Chaque mètre de chacun d'entre eux construit à la main, chaque pierre transportée d'un endroit où un autre, chacun d'entre eux s'écroulant de temps à autre, rassemblant autour de lui le voisinage pour le remettre d'aplomb.

    Dépouillé de ses feuilles le paysage fait apparaître ici et là les hautes maisons de schiste - on se ne rendait pas compte, l'été, a quel point cet endroit a été habité. Ici des générations ont traversé la vie, châtaigniers laissant place aux mûriers laissant de nouveau place aux châtaigniers quand le bombyx a disparu, les troupeaux de la transhumance passant chaque année sur la crête, là au-dessus de la maison.

    Présence humaine profonde, édifiant murs et bâtiments, semant à flanc de mont les arbres qui semblent maintenant toujours avoir été là, cette présence a disparu. La ronce, la bruyère, la fougère, on envahi les pâturages abandonnés ; les sangliers rodent où avant il y avait un verger et les murs s'effritent et tombent sans que plus personne ne les relèvent.

    Là, à la fin du printemps ces siècles de travail se laissent brièvement voir à travers les arbres encore sans feuille. Bientôt ils disparaitront de notre vue comme un pays évanescent.

     


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