• Pas de douches dans la BMK, il faut faire comme les russes et dédier un jour (ou une après-midi) au banya, au sauna. Nous partons donc en recherche d'un banya privé sur Gulcha, Bazarbai rentre dans un local qui semble prometteur près du bazar. Depuis le Was je vois les allées et venues des acheteurs et vendeurs. Un gamin pousse une poussette remplie de thermos, une femme, sa mère peut être le suit portant un sac plein à craquer de thermos : du thé à vendre sur le marché ?

    D'ailleurs, c'est lors de notre deuxième voyage de nettoyage, à Jiluu Suu, où coule une source tiède aménagée en piscine, que je vois clairement les étranges tatouages de Rahmatjon, l'une des personnes que je forme, un ancien camionneur. Il ne doit pas vraiment savoir ce qu'ils veulent dire ces dessins vert-gris qui pourraient être la marque d'un ex-taulard. Seulement, sur son biceps gauche, une femme en uniforme nazi me regarde dans le sauna...



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    En allant vers le centre nous croisons le Was vert olive du chef du réseau de distribution d'eau : Bazarbai Atamov. C'est un grand kirghize dont un œil est enneigé, il porte un costume de style soviétique et un beau akkalpak blanc et noir. Il descend de son véhicule et vient nous saluer : une poignée de main chaleureuse et presque tendre et une accolade, comme s'il recroisait d'anciens amis.

    Il nous emmène dans nos logis : la BMK (de ce que je comprend cela veut dire « Brigade Mobile de Construction). Le bâtiment se trouve sur le terrain d'une ancienne entreprise d'état qui ne tourne plus qu'au ralenti, il devait servir de logement pour les ouvriers de la construction venus d'ailleurs. C'est le confort moderne : lits en planches durs comme du bois mort, latrines odorifères, chauffage en béton armé (littéralement...), portes et fenêtres qui ferment mal malgré le froid extérieur et comble du luxe un billard aux boules uniformément blanches. Au rez-de-chaussée, des pièces qui devaient servir de bureau à une autre époque servent maintenant de silo à grain : par les fenêtres on voit le blé s'entasser, 1 m 30 de profond.

    Un soir je me dirige vers les infâmes latrines au fond de la cour. Le ciel est limpide, Orion se lève penché à l'est, des chiens aboient dans la nuit, un jeu de relais incessant. Soudain la voix d'un muezzin s'élève dans l'air froid. C'est un instant de magie.

    Je visite avec Bazarbai une réparation de fuites, un tas de gamins excités regardent dans la fosse ce qu'il se passe, Bazarbai fait pleuvoir ses ordres sur les plombiers qui bossent dans la flotte là-bas en bas. Un gamin passe sur une bicyclette trop grande, il porte une casquette à rabats, ses joues sont rouges de pédaler. Comme il est petit, il pédale debout sous le cadre de l'énorme engin ukrainien ou chinois.


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  • Nous partons vers Gulcha, quelques écolières traversent la rue devant nous, elles portent des jupes courtes noires sur des collants bariolés multicolores, les pompons dans leurs cheveux sautent à chaque pas. La route mène au Tadjikistan puis en Chine, malgré cela, elle est presque vide au moment où nous la prenons. Nous traversons d'abord des champs de coton, puis la route longe longtemps la berge d'une rivière de montagne dans son lit caillouteux. Tout autour des collines desséchées, leurs marques d'érosion creusant des méplats sombres dans cette lumière de fin de journée. Le bleu du ciel, le marron - brun des collines, le gris de la route et chaque village croisé dans un creuset de peupliers jaunis par l'automne : il y a de la beauté ici.

    Nous dépassons un groupe de camions vert olive dépareillés de l'armée kirghize, celle-ci essaye de combler le manque d'argent de l'Etat par la générosité des superpuissances intéressées par la position stratégique de la petite république. Elle dispose maintenant d'uniformes chinois, de bottes turques, de pièces détachées et munitions russes et de radios étasuniennes. Plus tard un rutilant camion à plaques chinoises nous croise.

    La route rafistolée, bossue, défoncée, passe un col, nous voici dans la dernière descente avant Gulcha : sur la droite les pics enneigés des Alaïs sont alignés.

    A la sortie d'un de ces villages bordés de peupliers, longeant le cours d'une autre rivière de montagne nous croisons une étrange construction, architecturalement elle ressemble à un lycée de banlieue, mais c'est inattendu d'en croiser un dans ce coin du monde. Autre raison d'étonnement, son matériau de construction : des briques d'adobe. Je demande à Iskender et Alisher (mon interprète), ce que c'est : c'est bien un lycée, en architecture de tradition Bauhaus, dans un matériau ancestral...

    Au détour de la route, à la confluence de deux ou trois rivières, encadrée de montagnes pelées, Gulcha apparaît entre d'inévitables peupliers. Ici et là des bâtiments de plusieurs étages, HLM, nous dirions ici, se dressent, délabrés, entre les maisons. Ils ont quelque chose de post-apocalyptique : comme des bâtiments réoccupés après la catastrophe, en bas de chaque cage d'escalier des fours à pain en argile de conception millénaire, les appartements n'ont pas l'eau courante, sans doute plus de toilettes fonctionnelles et l'électricité que quand l'entreprise de distribution le veut bien.



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  • Je passe les contrôles, même pour les vols intérieurs les bagages doivent traverser des rayons X, sur, les machines datent des années 70, et semblent plaquées bois, mais elles marchent encore, il faut croire.

    Dans la salle d'attente je gribouille quelques premières lignes dans mon calepin en jetant des coups d'œil autour de moi. Un homme assis à mes cotés lit une revue de manière attentive, sa posture, jambes croisées l'uns sur l'autre, attitude corporelle, indique l'intellectuel. Par curiosité je fais plus attention à ce qu'il lit : c'est un magasine porno...

    Nous montons dans un petit coucou à réaction, c'est à nous de stocker nos bagages dans l'espace cargo, que nous devons traverser pour arriver aux sièges déformés par les années. L'hôtesse de l'air est une russe d'une soixantaine d'années surmaquillée...

    Je dors à moitié pendant le voyage, pourtant, par le hublot, la plaine kazakhe fait rapidement place aux montagnes couvertes de neige que l'on voyait depuis la ville. Outre la neige blanche, la couleur dominante est un marron gris un peu délavé, l'érosion fait ses griffes partout et le paysage en est étrangement torturé.

    Petit à petit : un peu plus de bois, des champs en quinconce remplissant l'espace laissé par les montagnes. Une plaine s'ouvre, la vallée de la Fergana.

    L'aéroport de Osh est petit, pourtant les pistes de bitume craquelé semblent immenses, mais vides d'avion. Quelques vieux camions anti-incendie sont garés sur le coté. Un peu plus loin, sur une aire de garage une quarantaine d'avions de passagers biplans doivent rouiller là depuis cinquante ans.

    Nous descendons, des gens entassent leurs maigres bagages sur la plateforme arrière d'un petit engin de transport, d'autres se dirigent vers un coin anodin du mur d'enceinte ou quelques personnes traînent, les uns debout, les autres accroupis : c'est la sortie, derrière la grille que l'on tarde à ouvrir entre la petite foule qui attend, se tient un ouzbek costaud en casquette de cuir noir, une pancarte à mon nom indique que c'est mon contact.

    Il fait beau, il fait léger, l'air est printanier ou vraiment d'un automne clément. Les usines sont pourtant fermées, des 15 000 ouvriers textiles que comptait la ville il n'en reste plus que 500. Les autres font du « biznes » comme dit Iskender, un membre de l'ONG CAAW, un kirghize à l'air japonais. Biznes : trafiquer avec l'Ouzbékistan voisin, essayer de vivre de l'informel qui grandit, cheb-cheb on dirait en Mauritanie. Des deux cotés de la route en allant vers le centre de ville, des cadavres d'usine traînent ça et là en train de pourrir. Le logement collectif, lui, il pourrit sur pied malgré les gens qui continuent d'y vivre.

    Osh suit le cours d'une rivière et ses 300 000 habitants entourent le trône de Suleyman, un relief dont la forme pourrait rappeler un personnage allongé. Cette montagne est entourée de mystères et de légendes, pendant longtemps elle fut un centre de pèlerinage. Salomon y serait enterré, Mohamed y serait venu prier, un saint homme musulman y aurait vécu (sa maison récemment reconstruite sur le sommet avait été détruite par les services secrets soviétiques...).

    Dans l'immense bazar qui suit la rive gauche de la rivière, inondé de produits manufacturés chinois, dont la disposition, le rythme des guildes de marchands, rappelle les marchés d'autres pays pauvres, le vrai attrait ce sont les gens. Des Ouzbeks et des Kirghizes surtout, des femmes en longues robes, le foulard étrangement noué autour de la tête, des hommes, haut chapeau blanc en feutre pour les Kirghizes, petit chapeau carré noir pour les Ouzbeks, certains portent le kaftan, la plupart des vestes et des pantalons gris soviétique. Parfois un russe sort de la masse, ou deux étudiants pakistanais (la faculté de médecine de Osh est réputée plus au sud), moi-même, qu'une femme harcèle pour que je change mes dollars avec elle.

    Un vieux kirghize, chapeau blanc et barbiche Ho Chi Minh se retourne un instant, sur sa veste grise des médailles rouges. C'est sans doute un vétéran de la Grande Guerre Patriotique. Quel sens a-t-elle bien pu avoir pour lui ?



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  • A l'arrivée à l'aéroport Manas, Sacha, un grand russe aux yeux tristes, m'attend, il tient entre ses mains un écriteau avec mon nom. Il ressemble un peu au Nino de Corto Maltese en Sibérie, il sent la cigarette et peut être un peu la vodka.

    Sur la route qui lie Manas à Bishkek, sur ce dernier tronçon de plaine kazakhe dans une Volkswagen bringuebalante nous parlons un allemand cassé malhabile. Il a été trafiquant de bagnoles dans le passé, allant jusqu'en Allemagne y chercher des véhicules à vendre ici.

    Gabriel et Billur, mes hôtes dans cette ville, habitent un faux HLM déglingué, un dallage inégal, gris intégral. Sur le terre-plein entre les tours gisent des jeux de gamin brisés entre des flaques d'eau venues de je ne sais où. C'étaient, paraît-il, des logements de standing, avant la Chute... Alors que des gens riches habitent ces immeubles la cage d'escalier est aussi défoncée que celle de n'importe qu'elle cité malfamée de nos banlieues. La chose publique n'est à personne, sombre résultat d'une société qui se voulait collectiviste.

    Après m'être reposé un peu (mon avion a atterri à 5 h 30) nous partons à la recherche d'un petit déjeuner. Les rues sont larges, elles étaient vides ce matin, elles se remplissent un peu d'un mélange de voitures russes, allemandes et japonaises (certaines gardant encore la conduite à droite). Un trolley bus traîne ses savates dans l'avenue centrale et les camionnettes Mercedes du secteur privé lui font concurrence... Nous passons devant le palais présidentiel : un ignoble bunker d'un blanc sale qui doit être du marbre, avant d'arriver à un restau-cantine qui fait des petits-déj anglais, drôle de monde...

    Au coin des rues, parfois, par groupes de trois ou quatre des hommes accroupis causent : c'est quand même l'Asie. Les visages ronds, les yeux bridés, des joues rougies par l'air du large... Quelque fois, la personne accroupie est russe : un blond aux yeux bleus, un mégot de cigarette coincé au bec regarde passer le monde. Parfois apparaît un bonhomme avec un haut chapeau en feutre blanc liseré de noir. Peut être des gens venus de la campagne.

    C'est Sacha qui me raccompagne à l'aéroport pour que je prenne mon vol pour Osh, la deuxième ville du pays. Sur le chemin nous en arrivons en baragouin à parler de l'armée, les militaires américains sont à Bishkek, une base aérienne est installée pour le moment à l'aéroport Manas. Sacha mime ce que je ne peux que qualifier d'une sodomie administrée par les américains aux afghans. Il avait 21 ans en 1979, il a fait son service militaire dans les paras en Afghanistan : son regard sur la guerre passée doit être bien différent du mien...



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