• Je viens d'en voir un, suivi de son fils identiquement vêtu - ils avançaient à pied le long de la route goudronnée qui passe au-dessus de l'hôpital militaire. Je les ai croisés presque au droit de la sortie de la morgue. Il était devant, son fils le suivait. Il portait une espèce de kamiss blanche, un manteau long en laine violette, un voile blanc lui couvrant la tête. Tant sa tête que sa ceinture étaient ceints d'une large bande de tissu noir.

    L'apparition est surprenante, mais ce n'est pas la première fois que je vois des gens comme lui - au début je pensais qu'il s'agissait d'acteurs déguisés se rendant la représentation d'une nativité. Plus tard en croisant aussi un de ces groupes avec des femmes qui portaient le voile et marchaient derrière leurs hommes j'ai pensé qu'ils formaient peut-être une étrange secte musulmane.

    J'ai fini par poser la question à mes collègues malgaches : qui donc sont ces personnes que l'on croise sur les routes, toujours à pied, habillés comme s'ils sortaient du film Les Dix commandements ?

    C'est un groupe évangélique radical qui cherche à vivre comme à l'époque biblique, ou à l'idée qu'ils se font de cette époque. Ils n'utilisent ni électricité, ni téléphone, ni véhicule - des Amish malgaches...

     


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  • Me voici à Paris, ville qui fut et sera mienne. Je déambule dans les rues suivant une ancienne et habituelle trajectoire - visant d'abord WHSmith au bout de la rue de Rivoli pour y acheter de la science-fiction anglophone puis bifurquant vers le quartier latin à la recherche des librairies hispaniques (elles ferment les unes après les autres : celle de la rue Monsieur-le-Prince, celle rue de Seine...) pour y trouver peut-être le dernier Sepulveda. C'est la fin de l'été déjà quelques feuilles mortes sont tombées des platanes. Il fait beau, des foules flânent dans les quartiers touristiques.

    Peut-être que mon séjour tananarivien a aiguisé mon ouïe et mon regard - je prête plus d'attention à l'architecture, m'arrêtant pour regarder tel bâtiment art-déco qui m'avait auparavant échappé, entendant en passant les conversations (elles sont en français, pardi, et je les comprends !).

    Comme celle de cette fille vraisemblablement rompant au téléphone depuis la table d'une terrasse de café : « je quitte Paris pour deux ou trois jours et je ne veux plus jamais te revoir... ». Ou, plus tard, lorsque moi-même attablé à une terrasse un couple de quadras se pose à côté de moi (je viens de finir un sandwich au jambon). Ils sont beaux et souriants, ont des airs de BCBG - ils viennent de se retrouver après cinq ans, comme ça par hasard dans le rue de la capitale. Il a 42 ans, elle trouve qu'il n'a pas changé, ils parlent de leurs amis communs, des lieux de la vie, du passé... Et pensant à ce que j'aurais à dire si jamais je devais croiser une connaissance perdue de vue depuis longtemps je tombe sur S. - un camarade que j'ai toujours apprécié. Nous échangeons quatre mots banaux et chacun s'en va - toutes ces années militantes pour au final quasiment rien savoir des gens que j'ai fréquenté alors de réunion en réunion, de manifestation en manifestation...

    Et voilà l'image qui me pousse à écrire : au pied d'un distributeur de billets rue de Rivoli un type en t-shirt vert avec un peu d'embonpoint, la barbe rouquine est allongé au milieu de ses affaires - c'est un clodo. Une femme, bien habillée, les lunettes mode sur le nez, le sac Zara au bras lui tapote le dos en lui parlant tendrement. Le visage de l'homme est mouillé, comme s'il avait pleuré ou comme s'il pleurait encore et elle - passante bourgeoise de ce quartier commerçant - le console.

    L'image est incongrue, on ne s'y attend pas, mais elle me réchauffe le cœur : il y a encore du monde et du beau monde sur terre.

     


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  • On le voit sur les t-shirts, on l'entend de la voix des touristes qui pensent avoir compris le pays, on le lit dans certains guides et on l'entend même de certains malgaches quand ils cherchent a excuser une déconvenue jouant sur l'étrange connivence de « l'évolué » vis à vis de l'ex-colonisateur : Madagascar serait le pays du mora mora - de la lenteur, de la paresse.

    Mora mora cette vieille femme qui tôt le matin va chercher ses vingt litres d'eau à la borne-fontaine et qu'elle hisse péniblement sur sa tête pour les ramener chez elle ?

    Mora mora ces hommes comme transformés en animaux de bât tirant la charrette à bras chargée de bois le long de la côte qui grimpe vers le rond point Météo ? Ou ceux qui chargent un camion en un incessant va et vient de porteurs, chacun une tour de briques sur la tête ?

    Mora mora cette ligne de paysannes jusqu'aux genoux dans la rizière, pliées en deux la journée durant à repiquer le riz ? Et celles-ci, plus tard, dans la même rizière filtrant l'eau dans de grands paniers pour prendre quelques menus poissons qui agrémenteront les repas ?

    Mora mora le chauffeur de taxi-brousse agrippé à son volant sous la radio tonitruante et sur une route longue d'heures et encore d'heures presque sans un arrêt ? Mora mora le mécano s'acharnant encore et encore avec des outils rafistolés et de mauvaises pièces à faire reprendre vie à la vieille 404 bâchée ? Mora mora les ouvriers servant sans protection la presse qui fait sortir les carreaux de terre cuite qui décoreront de belles maisons ?

    Et sur la côte est que ce vieux vasaha à l'accent parigot, accoudé au zinc d'un bar de Mahanoro, plein de son café du commerce, décrivait comme un espèce de pays de cocagne ou tout pousse et ou « il n'y a qu'a cueillir les fruits »... tout pousse, oui, même les mauvaises herbes coriaces, les champignons, la moisissure pas noble, les parasites, la cochenille sur les arbres fruitiers - mora mora chaque jour au pays de cocagne, une lutte contre la luxuriance de la végétation.

    Parce où que j'aille nulle part je ne vois ce mora mora. Pour les petites gens pas de repos, chaque jour sa peine pour vivre encore un jour et faire vivre les siens un jour encore.

     


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  • C'est le début du printemps, ni fleurs ni feuilles encore sur les châtaigniers, les merisiers, les mûriers... Ce sont les pins envahissants ou les chênes verts qui colorent un peu ce paysage austère de collines. Les bourgeons sont déjà ça et là et bientôt le merisier en face de la maison se couvrira de blanc. Un petit prunier se teint maintenant de rose ou de violet.

    Partis explorer les alentours, dans tel thalweg encombré de ronces on butte soudain sur un mur de schiste brut, le coupant comme un barrage qui se serait rempli de sédiments et dans le mur, une merveille architecturale, un escalier en schiste encastré permettant de passer au niveau supérieur. On se sent comme un explorateur à la petite semaine découvrant quelque cité perdue.

    C'est que dépouillé de ses feuilles le paysage qui l'été semblait si sauvage dévoile maintenant sa profonde humanité. La pente est marquée par l'homme, elle est striée de murs, murs pour retenir terre et châtaignes, murs pour l'apprivoiser cette pente, permettre d'y planter quelque céréale ou un potager. Chaque mètre de chacun d'entre eux construit à la main, chaque pierre transportée d'un endroit où un autre, chacun d'entre eux s'écroulant de temps à autre, rassemblant autour de lui le voisinage pour le remettre d'aplomb.

    Dépouillé de ses feuilles le paysage fait apparaître ici et là les hautes maisons de schiste - on se ne rendait pas compte, l'été, a quel point cet endroit a été habité. Ici des générations ont traversé la vie, châtaigniers laissant place aux mûriers laissant de nouveau place aux châtaigniers quand le bombyx a disparu, les troupeaux de la transhumance passant chaque année sur la crête, là au-dessus de la maison.

    Présence humaine profonde, édifiant murs et bâtiments, semant à flanc de mont les arbres qui semblent maintenant toujours avoir été là, cette présence a disparu. La ronce, la bruyère, la fougère, on envahi les pâturages abandonnés ; les sangliers rodent où avant il y avait un verger et les murs s'effritent et tombent sans que plus personne ne les relèvent.

    Là, à la fin du printemps ces siècles de travail se laissent brièvement voir à travers les arbres encore sans feuille. Bientôt ils disparaitront de notre vue comme un pays évanescent.

     


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  • Folle ? Peut-être pas, enfin, qui sait ?

    Elle était là, sans domicile, seule dans ses cinquante ou soixante ans, assise sur le rebord maçonné d'un caniveau profond. A son dos, le domaine de l'Église catholique, devant elle, la pente raide et pavée qui descend vers mon bureau, la magnifique vue sur la partie nord de Tana et au loin les collines et rizières de l'Imerina.

    Toujours trop habillée, elle portait des lunettes et d'étranges bonnets, peut-être même un serre tête avec des espèces d'oreilles de Mickey. Elle passait ses journées entourés de sacs, et de temps à autre on la voyait faire sa cuisine avec un réchaud au charbon dans une boîte de conserve. Elle avait aussi un parapluie sous lequel elle s'abritait les jours de pluie.

    Le matin passant devant son campement en moto j'étais surpris de voir souvent un petit groupe de gens, des écoliers ou écolières de l'École des Frères, quelques Sœurs, une famille du voisinage... Je me demandais bien ce qu'ils pouvaient se raconter, j'imaginais les religieux essayant de consoler la dame, ou lui proposant une solution d'hébergement ? Mais les écoliers et écolières ? Je me l'imaginais alors un peu sorcière, ou conteuse, disant la bonne aventure ou racontant d'anciennes histoires.

    Je ne saurais pas, un jour elle n'était plus là et il ne restait que quelques bouts de tissu, de vieux vêtements, là où elle avait vécu.

    Et maintenant il ne reste rien, juste un pan de mur maçonné entouré de verdure.

     


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