Avec du retard, peu de temps après le passage d'un train de marchandises, le Dia Soa est arrivé en gare d'Andasibe et nous sommes montés avec d'autres passagers - surtout des paysans du coin et peut-être une famille tananarivienne en vacances. Le train s'est mis en branle, accompagné des bruits et secousses des trains de mon enfance espagnole.
La voie est unique, elle descend sur la berge droite d'un fleuve dont je n'ai pas trouvé le nom. Les seules endroits où la voie se dédouble sont les gares où nous attendons chaque fois assez longtemps qu'un train de marchandises sur la montée nous croise avant de continuer. La forêt est partout présente, dense des deux bords de la voie, dense des deux cotés du fleuve.
Quand le train prend un virage à gauche du fonds de notre wagon la locomotive rouge devient visible un instant et un enfant de trois ou quatre ans debout derrière nous pousse des exclamations de plaisir...
Au bout de quelques heures nous arrivons en gare d'Andekaleka. Des échoppes et maisons en bois longent la voie, la gare elle même est toute petite, récemment rénovée. On est à l'arrêt un temps, puis un temps plus long, je m'impatiente, je descends, je remonte le convoi : dans la locomotive le mécano semble dormir, devant nous le train de marchandise qui nous précédait est à l'arrêt - dans le bureau du chef de gare un groupe de personnes jouent aux cartes... Je retrouve dans son wagon le chef de train, il m'explique qu'il y a eu un déraillement devant nous...
Nous nous préparons donc à l'attente - incertains de sa durée, l'espérant courte. Des cheminots en uniforme bleu turquoise rassemblent des outils et le casque de chantier sur la tête se dépêchent de rejoindre la draisine qui les conduira au site de l'accident.
L'arrêt se prolonge, la matinée finit et l'après-midi s'allonge. Des enfants vont et viennent dans les wagons vendant des fruits, des gâteaux de banane, des galettes de manioc. Nos jeunes contrôleurs en marron se sont installés dans un coin pour jouer aux cartes.
L'après-midi meurt, un rail serait cassé, la draisine revient - activité fébrile - elle repart. L'après-midi finit et les passagers les mieux équipés descendent sur le bord de la voie avec leurs casseroles en aluminium. De petits feux fleurissent sur le bord du ballast et des cuisines sont improvisées...
La nuit tombe, le train n'est pas bondé et nous cherchons chacun où dormir. Les banquettes sont étroites, pas très confortables mais on se débrouille. Sous l'éclairage néon le wagon est bientôt transformé en dortoir - les habitués ayant apporté des nattes qu'ils posent par terre. On se recroqueville, on entre et sort du rêve, on change de position - on se réveille, on jette un coup d'œil sur nos compagnons, la bouche ouverte, drapés sur leurs sièges, lourds de sommeil. Des bruits d'activité nous parviennent, le train avance un coup, puis il recule, des appels dans l'obscurité trouvent leur réponse - un type en bleu turquoise rentre dans le wagon, il est couvert de poussière et de boue - ça bosse.
A trois heures du matin finalement le train redémarre et nous quittons la gare d'Andekaleka. Nous y sommes restés un peu moins de vingt heures.
Dans l'aube brumeuse la forêt émerge de la nuit de chaque côté de la voie - magique, éblouissante : le voyage a repris - mais s'était-il vraiment arrêté ?