• Lhasa


    Lhasa est morte au début de l'année. Elle avait 37 ans, elle était de neuf jours ma cadette. Sa musique m'accompagnait depuis l'année ou S. m'a quitté. C'était il y a douze ans. Mon pote B. m'en avait parlé en bien, je ne me souviens plus de ce qu'il m'avait dit exactement, mais je crois me souvenir de la rue grenobloise dans laquelle il m'en a parlé, j'ai comme l'image aussi d'une affiche collée sur la porte d'un local de transformateur... J'ai acheté La Llorona avant de quitter la France - pour la Mauritanie ? Ou était-ce l'année suivante pour le Nicaragua ? Ai-je fait écouter ce premier album à F. quand nous flirtions ? L'ai-je fait écouter à T. ou à S. dans notre appartement nouakchottois ? Je ne m'en souviens plus.

    De sa voix dans les écouteurs me touchant alors que j'étais assis sur cette chaise en mauvais plastique sur le porche de ma maison à Rio Blanco, le soir déjà tombé, les ombres passant dans la rue boueuse je m'en souviens. Je me souviens de combien je trouvais ce qu'elle faisait plus puissant, plus mûr, plus proche de moi tout simplement que les romanticas que j'entendais malgré moi dans le bus sur la route de Matagalpa chaque fin de semaine. Je me souviens aussi d'avoir fait écouter l'album à mes collègues nicaraguayens et de la réaction de Doña Gregoria en entendant Los Peces - elle m'apprenait que c'était une chanson traditionnelle mésoaméricaine chantée à Noël...

    Bien plus tard j'ai acheté The Living Road pour M. On écoutait cet album de temps en temps dans notre deux pièces de la rue Lamarck. On est allés ensemble la voir en concert, quelque part au début des années 2000 (en 2004 ?) au Rex, on était placés haut dans la salle et on voyait la silhouette menue de la chanteuse sur la scène. Nous étions bercés par sa voix si profonde.

    Si M. a conservé le CD lors qu'elle est partie, j'ai les versions électroniques de ces deux albums et ils m'ont accompagné jusqu'ici - jusqu'à Tana. Je me laisse parfois emporter par cette musique, par la poésie un peu surréelle des paroles, par la mélancolie dense des chansons.

    Peut-être est-ce générationnel, mais je me sentais si proche de Lhasa : on est né tous deux presque au même moment, la trajectoire de nos parents est semblable, j'ai aussi traversé les années 70 et 80 dans une famille « hippie ». On avait tous deux de ces années gardé trois langues : le français, l'anglais et l'espagnol.

    Sa mort me touche sans doute beaucoup à cause de cela - de cette proximité - elle rend tout un coup et encore un peu plus présente l'irréversibilité du temps...

     


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