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    C'est le milieu du mois de ramadan à Istanbul et si la journée les rues de Sultanahmed son remplies de touristes là, l'iftar passé, elles sont pleines de stambouliotes déambulant après un bon repas partagé.

    La mairie de Fatih, qui est le nom de cette partie de la ville, est réputée conservatrice et dans ses parties moins touristiques il n'est pas très rare de croiser une femme en tchador ou un homme barbu en shalwar kamiz. La mairie a donc organisé sur l'esplanade autour des mosquées de Sultanahmed diverses festivités pour clore chaque jour le jeune. Nous venons nous mêmes de finir de dîner dans une allée entourés de tablées de gens célébrant la clôture que, comme eux, nous avons attendu (il serait plus juste de dire un peu comme eux, car nous n'avons pas jeûné). Suivant la foule nous entendons les bruits d'un concert, cela ressemble à de la musique religieuse. Nous nous approchons d'une scène portant le logo de la commune.

    Un groupe vient de finir, un autre prend sa place. Dans les gradins – que nous surplombons – les spectateurs semblent être de cette classe moyenne votant AKP, femmes voilées portant manteaux, hommes en costard et moustache. Dans un coin de la scène je remarque un derviche dans une position d'attente ou de prière, il est debout les mains sur les épaules.

    La musique commence, un chant s'élève et l'homme se met à tourner. Il tourne, tourne, sans s'arrêter, comme s'inscrivant dans l'éternité, une main paume vers le ciel, l'autre paume vers la terre, dans ce geste qui doit semer la bénédiction. La musique dure, entêtante (deux semaines après je la sens, pas loin dans mon esprit), et le derviche tourne, encore et encore. Lorsque son mouvement a commencé un mouvement d'excitation ou d’enthousiasme a saisi la foule, elle s'est remplie de bruissements, comme une rumeur l'a parcourue.

    Je croyais les derviches tourneurs devenus uniquement une attraction touristique, leur danse comme vidée de son sens, devenu pur folklore. Là, en ce mois de ramadan, devant un public turc et pieux, sans doute sunnite et conservateur, c'est peut être autre chose qui se joue. On sent que l'AKP en revisitant le passé ottoman avec un œil un peu puritain s'est peut être laissé déborder par ce que cette époque avait de diversité… Ouverte la boîte voilà un derviche qui tourne devant un public turc, comme un retour du refoulé. Le foisonnement soufi du passé émergeant dans le présent.


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  • C'est encore une mosquée conçue par Sinan, mais elle est moins connue, perchée qu'elle est sur les hauteurs d'Usküdar. En fait la mosquée fait partie d'un vaste complexe qui comprenait des écoles, un caravansérail, un hammam, des cuisines...

    On y arrive après avoir traversé des quartiers populaires. Dans ce coin les touristes sont rares et les habitants nous regardent passer avec curiosité. L'appel à la prière retentit alors que nous approchons la mosquée. Un homme s'y rend, il nous accompagne sur le chemin en nous posant des questions sans arrières-pensées. Il nous parle de ses voyages en Europe et nous demande d'où nous venons.

    Nous nous installons dans la cour de la mosquée, nous regardons les hommes y rentrer seuls ou par petits groupes. Il règne dans cet endroit un grand calme. Comme si l'immense ville s'estompait pour ne laisser que le contenu de ces quatre murs : une fontaine, quelques arbres, et la mosquée d'où sort maintenant le bruissement des prières.

    Nous passons-là un moment en paix.



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  • Dans ce sous-sol sombre (et touristique) d'Istanbul l'hydraulicien est content : le voilà au centre d'une immense citerne byzantine - 80 000 mètres cubes entourés de murs de briques de 4 m d'épaisseur...

    Ce lieu qui n'a été construit pour aucun regard, ce lieu terré sous la ville, à deux pas de la magnifique Sainte Sophie, charme. L'éclairage changeant installé pour nous autres, les touristes, y est pour beaucoup, mais même sans cela, il y a quelque chose de simple, de magique dans cette forêt de colonnes qui soutiennent les voûtes en briques de la réserve d'eau.

    A y regarder de plus près, on est surpris, si tel chapiteau est un bloc brut, pratique, sorti de la tête du technicien ayant conçu les lieux, tel chapiteau corinthien dénote. Que fait-il là où il n'aurait été jamais vu ? La surprise grandit quand on aperçoit plus loin une colonne finement travaillée, comme ocellée de larmes. Et tout au fond, deux autres colonnes ont été « calées » par de grandes têtes de gorgone posés de travers, à l'envers...

    Sans doute par manque d'argent, manque de matière première, manque de temps, et peut-être par un désir pervers de défaire ce que d'autres avaient fait avant, les constructeurs chrétiens de cette citerne ont simplement razzié quelques temples plus anciens des environs... Encore une roue qui tourne : ce qu'un architecte à conçu pour rendre hommage aux dieux, un ingénieur, un millénaire plus tard, utilise pour assurer l'approvisionnement en eau de sa ville !



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  • Il se qualifiait lui même de « vulnérable fourmi », lui à qui l'on doit cette crête des minarets qu'est Istanbul vue depuis la Corne d'Or.

    Né chrétien en Cappadoce, il a passé la moité de sa vie janissaire, se battant d'Autriche en Perse pour le sultan Soliman (dit le Magnifique). Simple soldat, technicien puis ingénieur du génie militaire, à 50 ans, il devient l'architecte en chef du Hassa Mimarlar Ocagi - le corps impérial des architectes.

    Son architecture est marquée par la fascination des Ottomans pour Hagia Sofia, par la recherche du vaste et lumineux espace que ce doit d'être une moquée. Aboutir à cet espace, à cette lumière, c'est coiffer ses bâtiments d'un enchevêtrement de dômes et demi-dômes. C'est libérer les murs de leur charge pour qu'ils puissent laisser filtrer la lumière. Ses mosquées sont alors comme des pyramides de marbre que leurs minarets lacent vers le ciel.

    Voici sa tombe, au coin de la Suleymaniye, entre ces étranges pierres tombales comme coiffées de turbans, à coté de la tombe de Soliman et de celle de sa favorite, Roxelane. La tombe de Mimar Sinan surplombe la Corne d'Or, le Bosphore et cette ville qu'il a contribué à façonner.



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    Voici le crépuscule qui tombe sur Istanbul, le soleil se couche sur l'ancienne Byzance et nous rentrons d'une journée passée à arpenter Üsküdar, à dénicher les quelques petites mosquées de l'architecte Sinan qui existent sur la rive asiatique de la grande ville.

    Nous traversons le Bosphore dans un de ces bateaux bus, simple véhicule de transport en commun, le prix du voyage identique à celui du tram de l'autre rive. D'ailleurs c'est tout un peuple qui grimpe à bord au port, qui se rue à l'étage à la recherche d'un siège où se poser le temps de la traversée, femmes portant fichu, jeunes nénettes branchées, sombres moustachus et alternos stambouliotes...

    Et voilà le luxe suprême : siroter un thé brûlant les yeux rivés sur ce paysage de minarets, ces valses de navires et de mouettes, ce soleil tombant... Et dire que nous ici, nous nous serrons comme des sardines dans d'improbables transports souterrains, l'air maussade et fatigué !



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