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  • C’est le titre d’une exposition de photos réalisées par Colin Delfosse dont le vernisage a eu lieu le 19 septembre à la Halle de la Gombe à Kinshasa. Il s’agit d’une série de beaux portraits en format carré représentant divers catcheurs congolais dans leurs quartiers et dans leurs personnages. Ces catcheurs sont un étrange mélange de tradition et de modernité – certains pourraient faire partie facilement des circuits américains ou mexicains, d’autres semblent sortis droit de cérémonies d’initiation portant divers objets de puissance.

    La Halle de la Gombe c’est un de ces lieux de diffusion de la culture française. Un lieu où se retrouve une partie de l’expatriariat de Kinshasa – les Onu, Monusco, ONG men and women. C’est cette faune-là qui circule dans les deux pièces où sont exposées les photos. Le 19 septembre il y avait un autre groupe – congolais – prenant selfies devant les portraits, prenant d’assaut le buffet du vernissage. C’est que le catch est un spectacle populaire et que le photographe et l’Institut français du Congo ont affrété un bus pour faire venir des fans des catcheurs photographiés. Voilà donc deux mondes, le cultureux et le populaire qui se fréquentent dans un lieu habituellement trusté par le premier.

    Sous la halle justement, un ring a été installé et alors que nous finissons nos bières le son criard d’une fanfare démarre (Aïcha, artiste kinois nous parle de ces fanfares et des processions de catcheurs en chemin pour le ring de son enfance de cité sous Mobutu). L’animateur déjà essaye de chauffer une salle encore peu peuplée d’expatriés perplexes.

    On ne comprend pas grand-chose aux élucubrations de l’animateur mais la tension monte.

    Le premier combat commence, il oppose un catcheur technique à un catcheur féticheur et cette dichotomie fondamentale semble être une constante des combats qui vont s’enchainer. Certains combattants utilisent leur force physique, d’autres la magie noire… Tout est faux et pourtant quelque chose se passe : acrobaties, tours de magie, pyrotechnie de bricole, retournements incessant de situation…

    La puissance du sorcier est dans son sceptre, son couvre-chef, dans un pigeon vivant (qui finira déchiqueté puis ressuscité…) dans son appel aux esprits. Son pouvoir se manifeste dans la prise de contrôle du corps de l’autre rendu visible pour les spectateurs par la danse. Quand les bassins des combattants (voire de l’arbitre) se mettent à battre le même rythme c’est que la possession se produit sous nos yeux.

    Les combats physiques sont comme ceux du catch : des coups qui ne sont pas portés, des manœuvres dont on se demande l’impact – il y a un semblant de recherche de réalisme mais ce qui se passe est factice. Est-ce que le volet mystique de ces combats cherche le même réalisme aux yeux des spectateurs ?

    Le combat le plus spectaculaire oppose deux sorciers – l’un d’eux, celui dont sont fan tous les supporteurs amenés dans ce lieu d’expat par bus. Il est fin, avec une gestuelle un peu efféminée. Son port est altier, rehaussé par les impressionnants bois d’antilope qu’il porte sur sa tête. Son adversaire est également fin et menu, également efféminé – comme si le sorcier étant pont entre les mondes se devait d’être ambigu dans sa sexualité. Le combat est invisible tout en doigts crochus, invocations, sceptres tendus, corps possédés se libérant pour être de nouveau possédés. C’est l’homme au bois qui gagne le combat donnant le coup de grâce avec le « cercueil magique » que l’animateur vante et que l’on montre aux spectateurs vide… il deviendra plein de produits étranges – paquets de chips, boîtes de sardines (?) jetés dans la foule une fois la victoire acquise. Les fans dansent, l’animateur en appelle à la sécurité, voire à la police, un type se trémousse en tenant sa chaise en plastique dans les dents…

    Si je comprends comment les expatriés voient le spectacle et ce qu’ils en apprécient (sans doute le côté fantasque et burlesque et sans doute toujours avec une conscience aigüe du second degré) il m’est plus difficile d’imaginer ce que les fans y voient. C’est de la chorégraphie, il n’y a pas de combat, le meilleure ne gagne pas mais gagne celui qui devait gagner selon le script : à quoi bon donc être fan d’un type plutôt que d’un autre ?

    Qu’est-ce qui fait que ce sport théâtral ou plutôt cette forme de théâtre déguisé en sport prend ici ? Quelle résonnance souterraine fait qu’ici ça prend alors là-bas c’est autre chose (la lutte traditionnelle au Sénégal, le Kung Fu à Madagascar…) ?

    Il y a tout de même un degré de surréalisme supplémentaire dans ce spectacle mis en scène dans cet endroit en particulier. Les combats sont photographiés, filmés par des mundeles divers cherchant l’image à partager, ils sont dans un état de sidération qui est comme un décalage, une distance. C’est comme si le spectacle ce n’était pas seulement ce qui se passait sur le ring mais l’ensemble ring et spectateurs congolais…


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  • Encore un de ces matins de descente d’avion, l’air hagard, trainant la fatigue accumulée d’un voyage inconfortable et long. Je descends au radar les différents escaliers qui mènent dans le RER qui me conduira à Gare du Nord et de là à Saint-Denis.

    En haut du dernier escalator je remarque un homme d’origine africaine d’un certain âge. Il a peut-être la soixantaine et il s’escrime avec divers colis qu’il doit enlever de son chariot pour les descendre dans le RER. C’est trop tôt pour que je le calcule vraiment, et je ne fais pas ce que j’aurais dû faire : l’aider à les descendre.

    Quoi qu’il en soi je suis bientôt  assis dans le train et j’attends son départ. L’homme que j’ai croisé fini dans le même wagon posant ses derniers colis dans l’emplacement à bagages. Il s’assoit en s’épongeant le front à côté de deux femmes, elles aussi d’origine africaine, qui se moquent gentiment en disant qu’une femme aurait eu l’habitude de trimballer tout cela et ne serai pas si fatiguée…

    La conversation démarre et à un moment critiqué sur sa capacité à cuisiner le voilà qui se défend avec cette phrase superbe : « Ici à Paris un homme qui ne sait pas cuisiner ce n’est pas un vrai parisien » !


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  • Je déjeunais hier avec des amis et quelqu’un a évoqué l’élection présidentielle malgache et ses 49 candidats. C’est le sujet de nombreuses conversations dans Tana ces jours-ci. Entre nous une personne précise qu’il y a même un candidat maître de kung fu… Cela m’a fait penser à l’histoire des émeutes du kung fu à l’époque du Ratsiraka « socialiste ». C’est une histoire digne de cinéma que j’avais déjà voulu raconter ici.

    Au début des années 80 le régime socialiste de Ratsiraka organise une partie de la jeunesse de la capitale en groupes « révolutionnaires » les Tanora Tonga Saina (TTS, ou Jeunes conscientisés). Les TTS sont des instruments du pouvoir, ils se criminalisent et rackettent les commerces de la capitale.

    Depuis déjà longtemps le kung fu est enseigné à Madagascar où le mélange de mysticisme, discipline et sport séduit. L’école Wisa, fondée en 1980 est dirigée par Pierre Mizael Rakotoarijaona (dit Pierre Be ou Pierre le Grand), elle rassemble de très nombreux adeptes et pendant l’été de 1984 décide de stopper les agissements des TTS et de protéger les quartiers où elle est présente. Un collègue ex-Wisa me raconte cela en me disant que les habitants proches du marché Pochard où les TTS s’étaient installés avaient demandé de l’aide aux élèves du Wisa.

    Dès septembre 1984 des affrontements éclatent entre les adeptes Wisa et des TTS. Cela fâche Ratsiraka et il déclare l’état d’urgence et interdit l’enseignement du kung fu. Cela ne calme pas la violence mais au contraire l’intensifie et des émeutes éclatent. Les Wisa attaquent le marché Pochard le 4 décembre 1984 et expulsent les TTS du lieu (comme dans un film d’arts martiaux, les élèves descendent de leur dojo et virent les brigands du marché). A partir de là les affrontements vont inclure l’armée et la garde présidentielle.

    Finalement, en août 1985, des parachutistes de Diégo et des blindés d’Arivonimamo attaquent le dojo du Wisa : l’arme lourde contre les arts martiaux… Le grand-maître est tué dans les combats (mais certains adeptes aujourd’hui disent qu’il n’est pas mort mais caché et qu’il resurgira quand Madagascar aura besoin de lui). De nombreux Wisa sont emprisonnés et les émeutes prennent fin.

    C’est l’un de ces Wisa emprisonnés qui se présente aux présidentielles cette année, sous la bannière du parti Madagascar peut, Madagasikara Afaka.

    Un article sur le sujet est disponible ici : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/086068.pdf


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