• Cette année le transport de passagers par voie ferrée a été remis en service entre Moramanga et Toamasina (Tamatave), pour relancer la machine et permettre à une série de chefs-lieux d'être désenclavés la région Atsinanana subventionne ce train de voyageurs. Depuis octobre le train roule à nouveau de jour. Trois jours il descend des hautes terres (le mercredi, le vendredi et le dimanche), trois jours il remonte de la cote est (le mardi, le jeudi et le samedi) - le lundi c'est maintenance. Le train - une locomotive chinoise diésel rouge tirant trois wagons de marchandise du genre bétaillère et trois wagons de passagers rouges et blanc (ce sont les couleurs de Madarail) - s'appelle le Dia Soa (bon voyage ?).

    Ma mère, ma sœur et mon frère sont passés me rendre visite il y a peu, j'ai pris des vacances et nous avons décidé de prendre la route de l'Est - visant le canal des Pangalanes et l'océan Indien. Nous sommes allé par route jusqu'à Andasibe - Indri Indri oblige. Le buffet de la gare, dans le lequel j'avais dormi en 1990 est fermé pour rénovation mais la gare fonctionne, son jeune chef m'a expliqué que contrairement à ce que j'avais lu dans la presse le train ne descendait pas le jeudi mais le vendredi. Cela nous a permis d'explorer plus longuement que avions prévu le morceau de forêt géré par l'association Mitsinjo et de voir de près le célèbre lémurien noir et blanc au regard halluciné.

    Avec du retard, peu de temps après le passage d'un train de marchandises, le Dia Soa est arrivé en gare d'Andasibe et nous sommes montés avec d'autres passagers - surtout des paysans du coin et peut-être une famille tananarivienne en vacances. Le train s'est mis en branle, accompagné des bruits et secousses des trains de mon enfance espagnole.

    La voie est unique, elle descend sur la berge droite d'un fleuve dont je n'ai pas trouvé le nom. Les seules endroits où la voie se dédouble sont les gares où nous attendons chaque fois assez longtemps qu'un train de marchandises sur la montée nous croise avant de continuer. La forêt est partout présente, dense des deux bords de la voie, dense des deux cotés du fleuve.

    Quand le train prend un virage à gauche du fonds de notre wagon la locomotive rouge devient visible un instant et un enfant de trois ou quatre ans debout derrière nous pousse des exclamations de plaisir...

    Au bout de quelques heures nous arrivons en gare d'Andekaleka. Des échoppes et maisons en bois longent la voie, la gare elle même est toute petite, récemment rénovée. On est à l'arrêt un temps, puis un temps plus long, je m'impatiente, je descends, je remonte le convoi : dans la locomotive le mécano semble dormir, devant nous le train de marchandise qui nous précédait est à l'arrêt - dans le bureau du chef de gare un groupe de personnes jouent aux cartes... Je retrouve dans son wagon le chef de train, il m'explique qu'il y a eu un déraillement devant nous...

    Nous nous préparons donc à l'attente - incertains de sa durée, l'espérant courte. Des cheminots en uniforme bleu turquoise rassemblent des outils et le casque de chantier sur la tête se dépêchent de rejoindre la draisine qui les conduira au site de l'accident.

    L'arrêt se prolonge, la matinée finit et l'après-midi s'allonge. Des enfants vont et viennent dans les wagons vendant des fruits, des gâteaux de banane, des galettes de manioc. Nos jeunes contrôleurs en marron se sont installés dans un coin pour jouer aux cartes.

    L'après-midi meurt, un rail serait cassé, la draisine revient - activité fébrile - elle repart. L'après-midi finit et les passagers les mieux équipés descendent sur le bord de la voie avec leurs casseroles en aluminium. De petits feux fleurissent sur le bord du ballast et des cuisines sont improvisées...

    La nuit tombe, le train n'est pas bondé et nous cherchons chacun où dormir. Les banquettes sont étroites, pas très confortables mais on se débrouille. Sous l'éclairage néon le wagon est bientôt transformé en dortoir - les habitués ayant apporté des nattes qu'ils posent par terre. On se recroqueville, on entre et sort du rêve, on change de position - on se réveille, on jette un coup d'œil sur nos compagnons, la bouche ouverte, drapés sur leurs sièges, lourds de sommeil. Des bruits d'activité nous parviennent, le train avance un coup, puis il recule, des appels dans l'obscurité trouvent leur réponse - un type en bleu turquoise rentre dans le wagon, il est couvert de poussière et de boue - ça bosse.

    A trois heures du matin finalement le train redémarre et nous quittons la gare d'Andekaleka. Nous y sommes restés un peu moins de vingt heures.

    Dans l'aube brumeuse la forêt émerge de la nuit de chaque côté de la voie - magique, éblouissante : le voyage a repris - mais s'était-il vraiment arrêté ?



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  • C'est comme si un univers parallèle devait soudainement accessible ici à Antananarivo, un univers dans lequel l'UE s'appellerait l'Union des Républiques socialistes européennes, l'Urse... Des autocollants comme celui sur ce taxi 4L j'en vois depuis que je suis ici, pensant d'abord à la blague potache, puis à l'hallucination et maintenant aux univers parallèles : un simple autocollant de voiture, un F surmonté du drapeau français et sur le drapeau européen, mais un drapeau européen mutant - douze étoiles jaunes sur fond rouge ! Le drapeau de l'Urse...

    Plus prosaïquement c'est sans doute un stock d'autocollants foirés (le rouge et le bleu invertis sur un tirage en trichromie ou un truc de ce goût là...) qui a atterri ici et qui décore maintenant mainte taxi be, taxi ou voiture de particulier, véhicules de gens qui rêvaient d'avoir un F même s'il surmonte le drapeau d'un organisation inexistante dans cet univers !

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  • Maintenant que je suis motorisé je marche moins dans cette ville surréelle. Les deux dernières semaines pourtant, au retour d'une ballade au centre, j'ai repris la ruelle qui traverse une partie de mon quartier. Cette ruelle bordée d'étals où certains vendent des fripes (peut-être généreusement données en Europe), certains des téléphones d'occasion, certains des légumes, ou des poissons séchés ; cette ruelle logeant un infâme égout à ciel ouvert, traversant la place où se vend le charbon de bois qui permet de cuire la majorité des repas du quartier, où s'affairent parfois des forgerons en plein air (comme ceux-ci) à la fabrication d'outils divers.

    C'est un chemin que j'ai fréquenté souvent et le voilà pourtant qui me surprend de nouveau, comme à chaque fois !

    Dans le renfoncement carrelé d'une gargote de standing un type joue une espèce de balalaïka malgache, devant lui un marmot d'environ cinq ans aux habits usés portant une calotte tressée en matière végétale danse une petite jigue. Rien de la scène me permet penser qu'il font cela pour mendier, cela ressemble bien plus à un moment de détente, d'amusement.

    Un peu plus loin une improbable partie de Bingo se joue sur des caisses de bière retournées, sur des cartons d'emballage, sur un bout d'étal dans la journée finissante et le marché déclinant. Je croyais ce jeu réservé aux grand-mères anglaises voilà pourtant une dizaine de personnes dans ce quartier populaire de Tana posant soigneusement leurs jetons sur les cases qu'un crieur annonce.

    Et à peine à cent mètres de là une poignée d'hommes suivent l'affrontement de deux coqs de combat au bord même de la rue. Les coqs se mesurent, se défient, font des bonds, attaquent. L'ambiance ne m'a pas parue excitée du tout, l'assemblée regardant les coqs s'écharper avec un air blasé (peut-être de connaisseurs)...

    Et j'arrive au carrefour avec la route goudronnée qui mène à l'hôpital militaire et chez moi... La ruelle est finie, la vie sur ce bout de goudron est intéressante - mais moins surprenante !



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  • Faux Cap est la fausse pointe sud de l'île. C'est un village d'une trentaine de petites maisons en bambou et palme. L'école doit bien être en dur, ainsi qu'un ou deux bâtiments administratifs et les bungalows de l'hôtel Libertalia. Le village tourne le dos à la dune qui le protège de l'océan indien. La dalle de calcaire qui ailleurs rend la côte sud si inhospitalière ici coupe une petite lagune d'eau claire de l'océan lui-même. Dans ses anfractuosités se nichent des langoustes que les gens d'ici vendent aux collecteurs de passage : les plus grosses prendront l'avion à Fort Dauphin pour d'autres cieux ; les plus petites peuvent finir grillées dans l'assiète d'un des rares touristes étant arrivés jusque-là. Servies, par exemple au restaurant le Cactus de Faux Cap par la femme à droite sur la photo, en t-shirt Dolce et Gabanna chinois.

    Quand elle est rentrée dans la petite bâtisse au toit en palme ouverte sur l'océan indien dans laquelle nous attendions nos crustacés j'ai été surpris par son bonnet rouge et noir, surpris et excité, je l'ai fait remarquer aux gens qui partageaient ma table (le représentant de la coopération suisse était d'accord avec moi pour y trouver une ressemblance avec les bonnets des milices anarcho-syndicalistes de la Guerre d'Espagne, celui du département de l'Eure ne savait pas quoi penser et mes amis se montraient polis).

    Quand je l'ai questionnée sur le sujet elle m'a dit qu'un français lui avait donné ce chapeau-là et je suis resté mi-satisfait, encore étonné, me demandant ce qu'un français (et alors sans doute anar) pouvait faire dans ces parages avec un bonnet de milicien CNT-FAI...

    Quelque temps plus tard, la semaine dernière, j'ai accueilli chez moi un catalan voyageur, un de ces canapèlerins que j'héberge de temps à autre (car je suis moi-même canapèlerin, voir ici ). Nous discutons de choses et d'autres et finissons par glisser vers une conversation politique, l'ami est libertaire, vit dans une okupa et s'est investit dans diverses luttes dans son coin de l'État Espagnol. Alors, fort de cette complicité je lui montre la photo... La patronne du restaurant en rouge et la serveuse en t-shirt Dolce et Gabanna chinois avec le bonnet de milicienne sur la tête...

    Et là A. s'exclame dans un rire : « mais c'est Patricia et elle porte mon chapeau ! »

    Voir de ce côté A. et son chapeau sur les routes de Madagascar.



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  • Tsihombe. La petite ville étale ses maisons en bois ou en briques sur la rive gauche du Manambovo. Un grand tamarinier donne de l'ombre à la place de la mairie et une grande bâtisse avec des tours d'angle surveille le marche. D'étranges allées de baobabs mènent, l'une à une belle maison coloniale qui semble inhabitée, l'autre à la caserne de gendarmerie construite dans les murs d'un ancien fort (en pierre de taille, rythmés de meurtrières). La RN 10 traverse la ville, puis le Manambovo sur un pont duquel on voit une activité humaine intense dans le lit sablonneux de la rivière vidée : une myriade de trous creusés permettent d'obtenir une eau brunasse pour se laver, laver le linge, remplir les barriques bleues destinées à être vendues plus loin...

    Il faut six heures d'une route nationale parfois franchement mauvaise, parfois médiocre parfois encore piste bien carrossable pour arriver ici de Fort Dauphin et de l'aéroport le plus proche.

    Ce petit chef-lieu de district au fond de l'Androy accueil de temps à autre le festival Rebeke - festival des musiques du terroir, un superbe petit festival dédié aux musiques du sud de Madagascar et plus particulièrement à la musique antandroy. Voilà donc que la tribune des VIP du stade est aménage en scène et qu'une multitude des petits stands prennent place autour du terrain de football (un tas de petites gargotes où l'on mangera des brochettes en buvant bière et rhum et quelques stands des projets de développement). La journée le stade est presque vide, un groupe est sur scène, des techniciens tentent de faire les balances et un couple de femmes traverse le terrain avec chacune avec une canne à sucre... Plus tard un groupe de gamins taperont sur des tambours de différentes sortes fournis par l'Alliance Française, dans un coin une paire de chèvres attendent dans une charrette d'être menées quelque part par les deux bœufs qui ruminent encore sous le joug.

    La nuit une foule silencieuse, sérieuse, peu mouvante, peu dense entoure la scène - dans la « fosse » des bancs en bois accueillent les personnes importantes venues voir ce qu'il se passe dans ce coin reculé du pays. Les gens des environs sont là nombreux, ils écoutent la musique, regardent les danses, mais se tiennent immobiles enveloppés de ces paréos bariolés portant proverbes, maximes ou slogans ou de ces couvertures chinoises que l'on trouve sur les marchés si peu chères. Ils se tiennent immobiles et regardent l'air un peu perplexes ce qui se passe sur la scène si bien décorée. Une ou deux personnes dansent dans un coin, peut être ont ils plus bu pour se laisser aller comme cela à lever les pieds haut tenant la verge en bois qui rappelle symboliquement la sagaie tandroy.

    Dans la journée j'avais croisé cet homme revêtu d'une longue redingote portant des shorts et des tongs, son borsalino sur la tête, sa barbiche à la Malcom X parfaite. Le voilà maintenant sur la scène, il est accompagné de deux autres hommes, ils ont tous trois la dégaine des paysans du coin, je me souviens moins des deux autres, sans doute portaient-ils des vêtements chinois trouvés parmi les fripes du marché, je crois que l'un d'entre eux avait une casquette de baseball sur le crâne. Ils se tiennent très proches les uns des autres, chacun son micro, mais a cette distance peut être un seul micro aurait suffi. Pour mieux s'entendre ils portent leur main droite en coquillage sur l'oreille cherchant ainsi les deux autres voix. Et le chant s'élève : une plainte a capella rythmé de son contre-chant. Une plainte qui démarrée pourrait ne jamais s'arrêter... Et nous sommes médusés par ce chant qui s'enfonce dans la nuit.

    Je ne sais pas pourquoi mais cela me rappelle le gwerz breton, peut être est-ce simplement cette pose : la main en coquillage sur l'oreille, peut être est-ce aussi ce chant son contre-chant, cette mélopée que l'on sent ancienne et essentielle...

    Quelques informations sur ce festival sur :

    - Dailymotion

    et  

    - MySpace

     



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