• Vers 15 h 30, après avoir reçu un coup de fil inquiétant de la part d'un collègue, je suis assis dans mon salon, la fenêtre donnant sur la cour ouverte - il fait beau dehors - j'aperçois un bout de la rue pavée qui passe devant chez moi.

    Un homme en maillot de foot portant un bonnet sur la tête parle à une femme d'age moyen devant un portail. Je ne les entends pas, je suis trop loin, je ne vois que les gestes que l'homme fait. Il semble mimer quelqu'un parlant dans un micro, il semble mimer des gens qui avancent puis qui se jettent au sol. Il pointe alors du doigt et le doigt pointé, imprimant a son poignet des secousses, il dessine un arc de cercle - il mime, là c'est certain, un mitraillage...

    Et alors, comme convoqués, des bruits s'entendent au loin ressemblant à des pétards chinois : des tirs d'arme automatique. La femme rentre chez elle en courant, les autres piétons dans la rue pressent le pas, et l'homme reprend son chemin, presque nonchalant.

    Peu de temps après j'entends les sirènes des ambulances, peut-être se dirigeant vers l'hôpital militaire tout proche...



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  • Certes, Betsarety est plus passant à neuf heures que je ne l'ai jamais vu, mais le petit marché bat son plein et des tananariviens font leurs courses, peut-être inquiets d'être dans l'œil trompeur du cyclone. Un type passe avec un sac plastique rempli de riz, une femme transporte un tas de baguettes de pain - ce pain aérien qui était venu à manquer - et devant chaque borne-fontaine que je croise une queue de seaux attend d'être replie.

    Je suis sorti pour essayer de trouver une machine à sous qui accepte ma carte de bleue (histoire de remplumer mon porte-feuille vide). Je traverse la ville vivante, peut-être un peu au ralenti, mais chacun vaque a ses occupations, parfois incongrues - comme ce gars transportant sur son dos un caddy de supermarché sans roues... C'est la petite ville qui vit, dans le centre, les magasins bourgeois sont tous fermés, certains mêmes barricadés, des rouleaux de fil-rasoir déroulés à la hâte sur des portails verrouillées.

    Aux habituels dazibao des groupes de gens lisent la presse écrite qui continue de paraître et sur les trottoirs j'ai le sentiment qu'en grappes ils commentent les nouvelles.

    Ce sont les routes qui semblent les plus vides, les véhicules sont peu nombreux et le trafic - qui sans cela est toujours visqueux et lent - est aujourd'hui fluide et je file, sans avoir a pester contre le taxi be lent et fumeux qui aurait pu me précéder. J'y prends goût, et c'est pourquoi je suis surpris en quittant l'avenue de l'Indépendance (au bout, à la gare de Soarano quelques militaires montent la garde) de tomber sur un embouteillage à l'entrée de Behoririka... Je m'aperçois rapidement que l'accès à ce quartier chinois est fermé - c'est vrai que le pillage a été particulièrement sévère dans ce coin - une barricade en bambou condamne la rue et un taxi la barre.

    Je me retrouve à midi dans un restaurant de la place avec des amis et chacun y va de son répertoire de rumeurs que nous nous empressons de récolter. L'ambiance est étrange, autour de nous, d'autres expatriés échafaudent des hypothèses ou dégainent des téléphones ou s'expliquent encore une fois le déroulement des évènements...

    On sent le travail loin, on se sent pris par l'histoire - même si celle-ci manque de souffle. On est dans les interstices, on s'imagine le temps suspendu, peut-être parce que tout est incertain... Et dans ce restaurant d'expatriés la parole fuse, l'inquiétude des jours d'avant momentanément remise au placard. Pourtant il faut retourner au taf, reprendre le fil de ce début d'année, imaginer de quoi demain sera fait - parce qu'il faudra bien, alors aussi, faire vivre ce que nous faisons.



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  • Cela fait quelque temps que la tension monte, par étapes, sans que l'on sache à chaque étape quelle est la suivante, quelle sera son ampleur...

    D'abord ces deux hommes avec leurs profils de héros libéraux - hommes d'entreprises, dynamiques, encore jeune pour l'un, carrément jeune pour l'autre. Deux hommes dont la trajectoire d'entrepreneur efficace puis de maire de la capitale est si similaire... Se voir dans ce miroir inquiète l'homme plus âgé, il se demande si l'histoire balbutie, si c'est sa propre histoire qui se rejoue sous ses yeux.

    En tout cas, depuis des mois l'Etat cherche noise à la mairie de Antananarivo. Et voilà qu'il y a quelques semaines la télévision du maire est fermée pour avoir diffusé un entretien avec le dictateur déchu Ratsiraka. A cela s'ajouterait une modification constitutionnelle empêchant le jeune TGV de se présenter aux prochaines présidentielles...

    Comme riposte, il a dix jours, le maire inaugurait dans l'amphithéâtre naturel d'Ambohijatovo la place de la Démocratie, seul espace, disait-il, de démocratie dans le pays. Il y a avait peut-être vingt-cinq mille personnes dans ce jardin et sur les hauteurs qui l'entourent - une foule tranquille à voir les photos publiées dans la presse. Il s'agissait d'un ultimatum et on demandait la remise en service de Viva, la télévision censurée.

    Décheveler l'écheveau des rumeurs est impossible, on dit que ci, on dit que ça, que le Président aurait dit qu'un ultimatum il faut le mener au bout, que des ratsiraquistes auraient été vus à l'aéroport, qu'un Grand Jeu est en cours autour du futur de l'île...

    Et hier un nouveau rassemblement TGV interdit mais pacifique (bien que le discours du maire semble avoir été fort musclé) a fait revenir précipitamment le Président de son voyage sud-africain. On annonce qu'un mandat d'arrêt va être lancé contre le maire, on aurait perquisitionné le domicile d'un adjoint au maire. La radio Viva, pendant à la chaîne de télévision cesse d'émettre dans la nuit et des barricades de poubelles sont dressées dans certains quartiers. Des échauffourées ont lieu.

    Ce matin la ville semblait calme, puis a midi nous avons vu en partant déjeuner une colonne de fumée se lever derrière la crête de Faravohitra - la station de télévision présidentielle, la MBS ? La télévision nationale ? Ou encore le tribunal où la foule aurait cherché à libérer trois étudiants accusés de lancer de cocktails molotov ?

    Betsarety est quasiment vide, c'est surprenant de voire cette artère si souvent embouteillée devenue passante. Depuis la terrasse du Palissandre où nous déjeunons l'avenue de l'Indépendance est vide. On entend au loin une voix amplifiée que je ne parviens pas à comprendre et une autre colonne de fumée se lève.

    Une colonne de fumée au loin mais pas un seul barrage aux carrefours que l'on pourrait penser stratégiques dans l'est de la ville, comme le rond point Météo. En traversant cette partie de la capitale à moto je ne vois pas de policiers, pas de militaires - l'activité à la base du génie de Betongolo n'est pas plus importante que d'habitude.

    Les rumeurs courent encore, on parle de deux morts à la MBS, et d'un policier tué ailleurs, on parle de la foule qui se dirigerait vers Faravohitra et le domicile du Président... Je reçois un SMS du consulat me demandant de rester chez moi « sauf raison impérieuse ».

    Les collègues rentrent chez eux, les transports sont perturbés, la suite des évènements imprévisible. Je reste travailler encore un moment, n'étant pas loin de mon domicile.

    Depuis le balcon de notre bureau on voit s'élever maintenant d'autres colonnes de fumée, on essaye de devenir de quoi il s'agit : le terrain récemment remblayé par le Président sur la route digue ? Juste de poubelles en feu ? Et soudain, dense et noire la fumée se lève du côté de la route des Hydrocarbures, si proche de la Tour Zital qu'elle la touche : c'est le Magro, un entrepôt d'une des entreprises du Président. Bientôt encore une colonne se lève, de derrière le Rova, sans doute l'entrepôt Magro du sud de la ville. Les deux Magros de la ville fument. Dans la fumée qui se lève maintenant près de la Tour Zital on voit des flammes, le feu est intense et un bâtiment voisin brûle aussi quelque temps après...

    Sur le chemin du retour je croisais de petits groupes de personnes rassemblées ici ou là, là où l'on pouvait voir les bâtiments brûler. Des gens regardant, d'autres marchant, peu de voitures dans les rues - toujours pas d'embouteillage, mais malgré le fond de l'air tendu, des magasins ouverts, la vie suivant son cours.

    Je me suis arrêté à une petite échoppe proche de ma maison acheter quelques bricoles et suis rentré écrire ceci...

    Demain est un autre jour !



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  • Le bout du rail, ce trajet-là, ce fut Ambila Lemaitso. Sans doute un jour cette commune et la plus proche plage de Antananarivo connurent un moment de prospérité. Cela se voit dans les nombreuses villas abandonnées, certaines déjà délabrées, d'autres simplement fermées à double tour. Cela se voit dans cette allée de filaos longeant l'océan, allée que parcouraient peut-être autrefois les familles bourgeoises de la capitale descendues se prélasser au bord de l'eau.

    Si la plage est belle, longue et sableuse, l'océan est ici rude et les esquifs de pécheurs qui prennent la mer tôt le matin se fraient difficilement un chemin à travers les barres de rouleaux qui viennent se fracasser là.

    De l'autre coté de la maigre langue de terre sur la quelle s'étend le chef-lieu, le canal des Pangalanes semble endormi, ses eaux ce jour sans une ride, miroir de la végétation et des constructions qui le bordent par endroits. Un jour il servait de corridor, de moyen de transport, maintenant seules quelques pirogues passent - et encore, seulement de temps à autre. Et voilà le corridor traversé de pièges, et à quelques centaines de mètres d'intervalle d'immenses nasses à poisson le coupent complètement, le sectionnent (notre pilote lève son moteur hors-bord quand nous négocions les passages aménagés dans ces nasses pour éviter de coincer son hélice dans les palmes submergées qui empêchent les poissons de passer).

    L'hôtel où nous logeons - le Relais Malaky - est vide, son architecture fait penser aux années 30, à l'art déco, à une période de prospérité révolue. Il est grand et massif faisant face à la mer, face aux filaos et à la plage nue. Deux petits aérogénérateurs permettent de produire un peu d'énergie électrique si loin de la Jirama...

    La route qui y mène est médiocre, inexistante sur les derniers quatre kilomètres et de toutes façons coupée par le canal sans moyen de franchissement... La plage la plus proche de Tana est ainsi inatteignable sans une bonne dose de volonté.

    Cela change déjà, le train, ce train que nous avons eu à fréquenter presque 30 heures, s'arrête là maintenant. La commune est de nouveau désenclavée et notre présence surprenante dans cet hôtel ayant connu heures de gloire (le gérant dut aller chercher des boissons dans les gargotes de la seule rue d'Ambila à notre arrivée tellement l'arrivée de touristes lui semblait improbable) en est un symptôme.



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