• Je peux raconter cette histoire maintenant, deux mois après les évènements, maintenant que le pire est derrière nous et que les collègues convalescents vont mieux. J'avais écrit ce qui suit comme un bouclier - la « littérature » comme forteresse...

    Cela part d'un fragment d'Héraclite, l'histoire du fleuve dans le quel on ne se baigne pas deux fois - l'eau du fleuve n'est jamais la même et nous avons changé. Je comprenais le fragment facilement, je le neutralisais avec mon intellect - mais peut être qu'au final je n'étais pas vraiment convaincu de sa véracité.

    Et puis un matin sur la route de Miandrivazo nous croisons un troupeau de zébus et ses bouviers, un troupeau semblable a ceux qu'on a croisés sur cette route plusieurs fois. Les zébus ont l'air en bonne santé, nous remarquons un grand taureau tacheté, la bosse impressionnante et les cornes majestueuses. Les commentaires au sujet de ces belles bêtes fusent.

    Au retour, bien plus tard, nous recroisons le même troupeau, je le reconnais en voyant le même beau taureau. Le monde a cependant changé et c'est un taxi brousse réquisitionné qui nous transporte et non plus notre 4x4 que nous avons laissé fracassé dans un fossé - et dans le véhicule un collègue saigne et l'autre respire avec difficulté. La fraction de seconde a qui nous devons ça est élusive, ouatée, j'enveloppe l'évènement et sa suite de mots - dont ceux-ci. Malgré ces mots je me sens vidé, défait, assombri - moi qui n'ai rien.

    Ce sont les mêmes zébus, le même beau taureau et pourtant une fraction de seconde s'est glissée entre le matin et le soir et je ne peux plus voir ces bêtes du même œil...

     


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  • La pluie tombe sur Antananarivo, je croyais pourtant la pluie de mangues finie et que nous entrions dans une saison d'interlude plus sèche et chaude en attendant les vraies pluies. Dans cette maigre interlude que j'espère se prolongera un peu malgré tout il y eu des moments où l'air ou la lumière du matin et de la journée finissante avait quelque chose de méditerranéen.

    Et comme en Méditerranée au crépuscule c'est comme si quelque chose réveillait les odeurs, pas seulement celles habituelles du carburant mal brûlé, des canaux pourrissants ou des bennes débordantes, mais d'autres, florales, flottantes dans le soir tombant. Sur la pente qui monte du bureau et qui m'emmène de retour chez moi, la nuit déjà là, je croisais sur mon chemin une odeur de fumée d'eucalyptus, puis plus loin peut être un parfum de frangipanier ou de jasmin. Je traversais la nuit et ses flaques de senteurs sur ma moto, surpris par chacune - émerveillé et séduit par cette ville qui soudain se faisait sentir autrement...


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  • La semaine dernière je suis allé assister à la finale de la coupe africaine de Basketball féminin - c'est le deuxième match d'un sport collectif que je vois dans le vif de ma vie - le premier avait été un match de baseball entre le Boer de Managua et le Norte de Matagalpa... C'est au stade couvert de Mahamasina que le match a eu lieu, il opposait les Lionnes du Sénégal aux Aigles du Mali - comme nous étions arrivés là accompagnant une volontaire française d'origine malienne c'est dans les rangs des supporters maliens que nous nous sommes retrouvés.

    Le state était quasiment plein, pour l'essentiel des jeunes malgaches venus en groupe petit ou grands (comme ces trois adolescentes qui étaient assises à notre droite - ou ces deux types à notre gauche nous ayant offert de boire de la bière dans une bouteille de coca en plastique), il y avait là bien sur des ressortissants sénégalais ou maliens et quelques vasaha égarés dans la foule.

    En face de nous, dans la tribune de VIP, l'ambassadeur du Sénégal dans un grand boubou violet, diverses personnalités en costard et au centre, dans une tenue décontractée un peu cowboy (chemise à carreaux et jeans), l'ancien maire de Tana, actuel homme fort du pays. Tout ce beau monde n'avait pas l'air de beaucoup s'amuser....

    Le match je l'ai suivi : des Lionnes dominantes, des Aigles se reprenant au deuxième quart temps, mais trop tard, rebonds, attaques, paniers... C'était une partie de l'intérêt d'être là.

    Mais l'autre partie c'était l'ambiance, la très particulière ambiance de l'enceinte avant le début du match, l'ambiance des discours protocolaires... On sentait que les autorités en place avaient voulu instrumentaliser l'évènement : voir en le maintien de la compétition à Madagascar une forme de reconnaissance. Des discours ont été faits, rendus inaudibles par les cris, les huées et les applaudissements de la foule - on sentait Tana divisée et dans le boucan il était difficile de savoir si les applaudisseurs ou les hueurs étaient majoritaires... L'air était tendu à rompre, électrique... Il rendait quelque peu dérisoire la remise de médailles aux représentants de la Fiba.

    Ce sentiment de division, d'hostilité palpable, s'est évaporé au fur et à mesure du match. Quand, à la distribution des coupes et des médailles, quelques distinctions ont été attribués aux malgaches (Prisca meilleure tri-pointeuse, Maïwen meilleur espoir, coupe fair play du mérite...) l'explosion de joie a été là complète et partagée - indivisible !

     


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  • C'est à Ampefy, nous venons de tenter un peu informé tour du lac Itaosy - mis à mal par la vue de l'entendue d'eau s'ouvrant à la pointe de la presque île que nous avions atteint. De retour à notre hôtel et dépités nous nous sommes assis à une terrasse surplombant l'eau et nous attendons l'apéritif en lisant quelques lignes chacun de son livre (je pense que je lisais du Simak, mon amie lisait Les Cavaliers de Kessel).

    Le serveur nous a apporté notre bière et a commenté en voyant les livres : « c'est un nouveau ? ».

    Un peu interloqués nous ne l'avons pas compris, il s'est expliqué.

    Il avait lu les quatre livres de Kessel de la bibliothèque de l'Alliance française du bourg - il se demandait si Les Cavaliers, qu'il ne connaissait pas, était un nouveau livre de cet auteur qu'il aimait beaucoup !

    Nous n'avons malheureusement pas pu lui laisser, elle ne l'avait pas encore fini - mais la prochaine fois que j'y passe je déposerais à la bibliothèque de l'Alliance française ce livre plein de fureur...

     


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  • Cela fait déjà quatre heures que nous marchons en direction du nord ouest depuis Belobaka - un bourg déjà à une soixantaine de kilomètres de Tsiroamandidy, capitale du Bongolava. Nous avançons dans un paysage de collines couvertes d'herbes sèches, suivant parfois ce que fût la route de Belobaka à Akanvadra sur les bords de la Manambolo, notre destination.

    A priori, et puisque nous avons laissé Tsiroanomandidy (« là où deux rois ne peuvent régner » limite du monde merina et du monde sakalava) derrière nous nous sommes déjà en plein pays sakalava. Et pourtant, voilà, juste au-dessus de cet arbre sur le flanc d'un petit piton rocheux un tombeau merina...

    Ces tombeaux marquent le cœur d'un territoire familial on y ramène les squelettes des membres de la famille qui seraient morts au loin, on y célèbre la cérémonie du famahadiana - le retournement des morts, on les construit en pierres pour durer...

    Mais voilà ce tombeau solitaire, sur le bord d'un chemin de crête, loin de tout village, et probablement déjà en territoire « ennemi »...

    Pourquoi est-ce que cela me fait penser au poème de Basho :

    Herbe d'été flétrie
    tout ce qui reste
    du rêve de guerriers
    ?

     


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