• Je suis parti dans la jungle avec quatorze autres gars. Nous avons monté vers les sommets du mont Musun. Nous avancions en file indienne, les premier gars ouvrait les chemin à coups de machette, le second l'élargissait, les autres suivaient. De temps en temps nous nous comptions, le premier criait « un ! » suivit des autres jusqu'au « quinzième et dernier ! ». Je ne voyais la plu part du temps que les godillots du bonhomme devant moi. Parfois je le perdais et j'ai failli les perdre.

    Parfois, la jungle est dense au point de ne presque pas pouvoir avancer. Parfois la hauteur des arbres et le manque de lumière au sol nous laisse plus de place pour marcher. Parfois encore nous suivons les traces d'un tapir, il a déjà fait le nettoyage du chemin, nous avançons plus rapidement.

    Vers trois heures de l'après-midi nous nous arrêtons. Il faut de l'eau et un terrain plat pour que nous nous arrêtions. On déblaye le terrain et on monte les tentes (de la toile de plastique soutenue par de la corde ou du bois). La cuisine commence, pour allumer le feu nous utilisons du kérosène, technique bourinne mais efficace. C'est du riz, on ajoute des conserves, on fait du café, on chauffe de l'eau et on y mélange du maïs avec du cacao.

    Dans les hauteurs il fait bien froid, sous la tente en plastique, dans mes habits les plus chauds et au fond de mon sac de couchage, je grelottais.

    Mais, c'est beau, c'est vert, d'un coup les arbres rabougrissent sous l'effet du vent et on voit au loin quelque volcan éteint, un bout d'une rivière, une route ocre, des petites maisons en bambou. On s'enfonce de nouveau dans la verdure, les deux chefs de file ouvrant le chemin au machette, les treize autres gonzes avançant comme ils peuvent dans la végétation coupée. Je passe sous une bûche pourrie, mon T-shirt se remplit de bois humide, je me prends les pieds dans une liane lors d'une descente boueuse, mes grolles se remplissent d'eau au passage d'un gué.



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  • Nous partons vers Gulcha, quelques écolières traversent la rue devant nous, elles portent des jupes courtes noires sur des collants bariolés multicolores, les pompons dans leurs cheveux sautent à chaque pas. La route mène au Tadjikistan puis en Chine, malgré cela, elle est presque vide au moment où nous la prenons. Nous traversons d'abord des champs de coton, puis la route longe longtemps la berge d'une rivière de montagne dans son lit caillouteux. Tout autour des collines desséchées, leurs marques d'érosion creusant des méplats sombres dans cette lumière de fin de journée. Le bleu du ciel, le marron - brun des collines, le gris de la route et chaque village croisé dans un creuset de peupliers jaunis par l'automne : il y a de la beauté ici.

    Nous dépassons un groupe de camions vert olive dépareillés de l'armée kirghize, celle-ci essaye de combler le manque d'argent de l'Etat par la générosité des superpuissances intéressées par la position stratégique de la petite république. Elle dispose maintenant d'uniformes chinois, de bottes turques, de pièces détachées et munitions russes et de radios étasuniennes. Plus tard un rutilant camion à plaques chinoises nous croise.

    La route rafistolée, bossue, défoncée, passe un col, nous voici dans la dernière descente avant Gulcha : sur la droite les pics enneigés des Alaïs sont alignés.

    A la sortie d'un de ces villages bordés de peupliers, longeant le cours d'une autre rivière de montagne nous croisons une étrange construction, architecturalement elle ressemble à un lycée de banlieue, mais c'est inattendu d'en croiser un dans ce coin du monde. Autre raison d'étonnement, son matériau de construction : des briques d'adobe. Je demande à Iskender et Alisher (mon interprète), ce que c'est : c'est bien un lycée, en architecture de tradition Bauhaus, dans un matériau ancestral...

    Au détour de la route, à la confluence de deux ou trois rivières, encadrée de montagnes pelées, Gulcha apparaît entre d'inévitables peupliers. Ici et là des bâtiments de plusieurs étages, HLM, nous dirions ici, se dressent, délabrés, entre les maisons. Ils ont quelque chose de post-apocalyptique : comme des bâtiments réoccupés après la catastrophe, en bas de chaque cage d'escalier des fours à pain en argile de conception millénaire, les appartements n'ont pas l'eau courante, sans doute plus de toilettes fonctionnelles et l'électricité que quand l'entreprise de distribution le veut bien.



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  • Je passe les contrôles, même pour les vols intérieurs les bagages doivent traverser des rayons X, sur, les machines datent des années 70, et semblent plaquées bois, mais elles marchent encore, il faut croire.

    Dans la salle d'attente je gribouille quelques premières lignes dans mon calepin en jetant des coups d'œil autour de moi. Un homme assis à mes cotés lit une revue de manière attentive, sa posture, jambes croisées l'uns sur l'autre, attitude corporelle, indique l'intellectuel. Par curiosité je fais plus attention à ce qu'il lit : c'est un magasine porno...

    Nous montons dans un petit coucou à réaction, c'est à nous de stocker nos bagages dans l'espace cargo, que nous devons traverser pour arriver aux sièges déformés par les années. L'hôtesse de l'air est une russe d'une soixantaine d'années surmaquillée...

    Je dors à moitié pendant le voyage, pourtant, par le hublot, la plaine kazakhe fait rapidement place aux montagnes couvertes de neige que l'on voyait depuis la ville. Outre la neige blanche, la couleur dominante est un marron gris un peu délavé, l'érosion fait ses griffes partout et le paysage en est étrangement torturé.

    Petit à petit : un peu plus de bois, des champs en quinconce remplissant l'espace laissé par les montagnes. Une plaine s'ouvre, la vallée de la Fergana.

    L'aéroport de Osh est petit, pourtant les pistes de bitume craquelé semblent immenses, mais vides d'avion. Quelques vieux camions anti-incendie sont garés sur le coté. Un peu plus loin, sur une aire de garage une quarantaine d'avions de passagers biplans doivent rouiller là depuis cinquante ans.

    Nous descendons, des gens entassent leurs maigres bagages sur la plateforme arrière d'un petit engin de transport, d'autres se dirigent vers un coin anodin du mur d'enceinte ou quelques personnes traînent, les uns debout, les autres accroupis : c'est la sortie, derrière la grille que l'on tarde à ouvrir entre la petite foule qui attend, se tient un ouzbek costaud en casquette de cuir noir, une pancarte à mon nom indique que c'est mon contact.

    Il fait beau, il fait léger, l'air est printanier ou vraiment d'un automne clément. Les usines sont pourtant fermées, des 15 000 ouvriers textiles que comptait la ville il n'en reste plus que 500. Les autres font du « biznes » comme dit Iskender, un membre de l'ONG CAAW, un kirghize à l'air japonais. Biznes : trafiquer avec l'Ouzbékistan voisin, essayer de vivre de l'informel qui grandit, cheb-cheb on dirait en Mauritanie. Des deux cotés de la route en allant vers le centre de ville, des cadavres d'usine traînent ça et là en train de pourrir. Le logement collectif, lui, il pourrit sur pied malgré les gens qui continuent d'y vivre.

    Osh suit le cours d'une rivière et ses 300 000 habitants entourent le trône de Suleyman, un relief dont la forme pourrait rappeler un personnage allongé. Cette montagne est entourée de mystères et de légendes, pendant longtemps elle fut un centre de pèlerinage. Salomon y serait enterré, Mohamed y serait venu prier, un saint homme musulman y aurait vécu (sa maison récemment reconstruite sur le sommet avait été détruite par les services secrets soviétiques...).

    Dans l'immense bazar qui suit la rive gauche de la rivière, inondé de produits manufacturés chinois, dont la disposition, le rythme des guildes de marchands, rappelle les marchés d'autres pays pauvres, le vrai attrait ce sont les gens. Des Ouzbeks et des Kirghizes surtout, des femmes en longues robes, le foulard étrangement noué autour de la tête, des hommes, haut chapeau blanc en feutre pour les Kirghizes, petit chapeau carré noir pour les Ouzbeks, certains portent le kaftan, la plupart des vestes et des pantalons gris soviétique. Parfois un russe sort de la masse, ou deux étudiants pakistanais (la faculté de médecine de Osh est réputée plus au sud), moi-même, qu'une femme harcèle pour que je change mes dollars avec elle.

    Un vieux kirghize, chapeau blanc et barbiche Ho Chi Minh se retourne un instant, sur sa veste grise des médailles rouges. C'est sans doute un vétéran de la Grande Guerre Patriotique. Quel sens a-t-elle bien pu avoir pour lui ?



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  • L'avortement thérapeutique, c'est à dire l'avortement quand la vie de la femme enceinte est menacée par sa grossesse, était la seule forme d'avortement légale au Nicaragua. Plutôt, le code pénal dépénalisait cette forme d'avortement parmi les autres.

    Le parlement nicaraguayen a voté, dans le cadre d'une réforme du code pénal, sa pénalisation... Voilà qu'au nom du "droit à la vie" on mets en danger la vie des femmes !

    Le plus triste dans cette histoire de régression du droit des femmes est le fait que le FSLN, parti qui dans le temps soutenait (au moins sur papier) ce droit, par souci de rapprochement avec l'Eglise Catholique, a appellé ses députés à voter la pénalisation ! Ce parti avait déjà triste mine, autant dire qu'il est maintenant bon à enterrer, même si Ortega gagne les élections du 5 novembre prochain.

     

     


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  • A l'arrivée à l'aéroport Manas, Sacha, un grand russe aux yeux tristes, m'attend, il tient entre ses mains un écriteau avec mon nom. Il ressemble un peu au Nino de Corto Maltese en Sibérie, il sent la cigarette et peut être un peu la vodka.

    Sur la route qui lie Manas à Bishkek, sur ce dernier tronçon de plaine kazakhe dans une Volkswagen bringuebalante nous parlons un allemand cassé malhabile. Il a été trafiquant de bagnoles dans le passé, allant jusqu'en Allemagne y chercher des véhicules à vendre ici.

    Gabriel et Billur, mes hôtes dans cette ville, habitent un faux HLM déglingué, un dallage inégal, gris intégral. Sur le terre-plein entre les tours gisent des jeux de gamin brisés entre des flaques d'eau venues de je ne sais où. C'étaient, paraît-il, des logements de standing, avant la Chute... Alors que des gens riches habitent ces immeubles la cage d'escalier est aussi défoncée que celle de n'importe qu'elle cité malfamée de nos banlieues. La chose publique n'est à personne, sombre résultat d'une société qui se voulait collectiviste.

    Après m'être reposé un peu (mon avion a atterri à 5 h 30) nous partons à la recherche d'un petit déjeuner. Les rues sont larges, elles étaient vides ce matin, elles se remplissent un peu d'un mélange de voitures russes, allemandes et japonaises (certaines gardant encore la conduite à droite). Un trolley bus traîne ses savates dans l'avenue centrale et les camionnettes Mercedes du secteur privé lui font concurrence... Nous passons devant le palais présidentiel : un ignoble bunker d'un blanc sale qui doit être du marbre, avant d'arriver à un restau-cantine qui fait des petits-déj anglais, drôle de monde...

    Au coin des rues, parfois, par groupes de trois ou quatre des hommes accroupis causent : c'est quand même l'Asie. Les visages ronds, les yeux bridés, des joues rougies par l'air du large... Quelque fois, la personne accroupie est russe : un blond aux yeux bleus, un mégot de cigarette coincé au bec regarde passer le monde. Parfois apparaît un bonhomme avec un haut chapeau en feutre blanc liseré de noir. Peut être des gens venus de la campagne.

    C'est Sacha qui me raccompagne à l'aéroport pour que je prenne mon vol pour Osh, la deuxième ville du pays. Sur le chemin nous en arrivons en baragouin à parler de l'armée, les militaires américains sont à Bishkek, une base aérienne est installée pour le moment à l'aéroport Manas. Sacha mime ce que je ne peux que qualifier d'une sodomie administrée par les américains aux afghans. Il avait 21 ans en 1979, il a fait son service militaire dans les paras en Afghanistan : son regard sur la guerre passée doit être bien différent du mien...



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